Longtemps jugés trop dangereux, les renvois forcés reprennent vers l'Ukraine et l'Afghanistan
Le mois dernier, le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) expulsait également deux Afghans, ce qui n’était plus arrivé depuis l’arrivée au pouvoir des talibans. Amnesty Suisse dénonce une violation du droit humanitaire.
Mi-octobre, le directeur du SEM Vincenzo Mascioli défendait les premiers rapatriements d’Afghans dans leur pays depuis l’arrivée au pouvoir des talibans, en indiquant qu’ils faisaient courir un risque pour la sécurité intérieure de la Suisse.
Jeudi dernier, la WochenZeitung contestait ce danger, qui englobe en particulier le terrorisme, en relativisant la gravité d'au moins une des situations. Le SEM a alors déclaré que son dirigeant n'aurait jamais évoqué la sécurité intérieure, mais la sécurité publique. Ses propos auraient été mal rapportés dans la presse.
Les faits en question remontent à 2018. Alors âgé de 21 ans, l'un des deux Afghans renvoyés avait donné des coups de pied à la tête d'un autre réfugié afghan, lors d'un match de foot. Cette tentative de lésions corporelles graves lui avait valu seize mois de prison avec sursis et une expulsion de Suisse pendant sept ans.
"On nous fait subir un génocide"
Cette expulsion, prononcée en 2019, a seulement été appliquée le mois dernier, à la grande surprise de l'Afghan en question, qui témoigne dans La Matinale de la RTS, depuis la petite chambre qu'il loue désormais à Kaboul. "La police est venue dans ma chambre au centre d'asile et m'a dit, tu as un rendez-vous avec le service de l'immigration. J'ai pensé, je suis là depuis longtemps là, ils vont me donner une autorisation. C'est vrai, j'ai fait une erreur, mais ça n'est pas une raison. Vous savez, chez nous, c'est toujours difficile. Je suis de l'ethnie Hasara et ça n'est pas facile, on nous fait subir un génocide."
Le SEM ne s'exprime pas sur des situations particulières, mais précise que l'origine ethnique ne s'oppose pas de manière générale aux renvois. Ce critère est analysé au cas par cas.
Le principe de non-refoulement violé
La situation sécuritaire sur place, jugée dangereuse par le Département fédéral des affaires étrangères, ne s'oppose pas non plus de manière générale à des expulsions. Le SEM rappelle que le Tribunal administratif fédéral a récemment jugé admissible des renvois en Afghanistan, malgré les attentats qui y sont perpétrés régulièrement. C'est aux cantons, chargés de l'expulsion, de s'interroger sur l'admissibilité de chaque renvoi, notamment sous l'angle du risque sécuritaire.
Amnesty International Suisse et des spécialistes de la migration estiment pour leur part que les expulsions en Afghanistan ne respectent pas le principe humanitaire de non-refoulement. "Il n'y a pas de zone sûre en Afghanistan. Ce pays expose les personnes à la torture ou à des traitements inhumains. Les renvois vers ces pays violent donc clairement le principe du non-refoulement", dénonce Nadia Boehlen, la porte-parole de la section suisse d'Amnesty International.
Pas un gage pour la droite
L'Afghanistan des talibans est un pays dangereux, particulièrement pour les personnes au style de vie occidental. Le SEM lui-même l'avait reconnu. En 2021, quand les talibans avaient pris le pouvoir, il avait suspendu les renvois, à la seule exception des personnes pour lesquelles il existe un intérêt public prépondérant au rapatriement. Les terroristes cochent cette case. Pour l'Afghan qui a violenté un compatriote sur un terrain de foot il y a six ans, c'est plus discutable.
Le SEM conteste toutefois toute démarche politique. Cette entité rattachée au Département du conseiller fédéral socialiste Beat Jans nie vouloir donner des gages à la droite, dans un contexte où l'UDC et le PLR appellent à un durcissement de l'asile, en thématisant sur la criminalité étrangère et en agissant au Parlement notamment pour que la Suisse conclue un accord de réadmission avec le Maroc. Pour le SEM, "le rapatriement de criminels étrangers est un mandat du peuple, qui ne laisse aucune marge d'appréciation politique".
Romain Carrupt/jfe