Martine Brunschwig Graf: "Ce n'est pas 'woke' de dire qu'on doit regarder les autres sans hiérarchie"
Le podcast "Nos esclaves", disponible depuis lundi sur Play RTS, explore le passé esclavagiste de la Suisse à travers les récits de destins personnels, des archives inédites et des rencontres avec des experts. Martine Brunschwig Graf s’est longtemps battue pour que la Suisse ne ferme pas les yeux sur cette réalité historique.
"Bien connaître son histoire et en accepter les aspects les moins reluisants, si on peut dire, c'est aussi une façon de se comporter en citoyen responsable", explique-t-elle dans La Matinale. Et de rappeler: "Il y a du racisme et notamment du racisme anti-noir en Suisse, on le sait."
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L'ancienne présidente de la Commission fédérale contre le racisme développe: "Quand vous interviewez des gens qui sont suisses et qui ont une peau noire, ils vont, pour un certain nombre d'entre eux, vous expliquer que ce sont des choses qui peuvent arriver au quotidien. Si vous voulez surmonter cela et si vous voulez que les gens comprennent enfin qu'il n'y a pas plusieurs catégories d'humains et qu'on n'a pas à les mettre en termes hiérarchiques, c'est un élément que de connaître cette histoire-là et de comprendre pourquoi cette attitude de l'époque est une attitude qui n'est pas admissible."
"Se confronter à la réalité"
Pour Martine Brunschwig Graf, le lien entre passé colonial et racisme est évident. Dans les deux cas, "on regarde l'autre comme quelqu'un d'inférieur. Aujourd'hui, quand vous avez une équipe de foot et que vous montrez du doigt uniquement ceux qui sont de couleur noire, alors qu'ils sont suisses comme tous les autres joueurs, cela signifie simplement que vous les regardez différemment".
"C'est la même chose quand vous regardez les Africains différemment et que vous les estimez inférieurs et que vous ne les voulez pas chez nous, qu'ils soient directement ou indirectement citoyens. Il faut se poser ces questions."
II ne faut pas déboulonner les statues, enlever les symboles du colonialisme. Il s'agit simplement de les expliquer et de dire que c'était une réalité
L'ancienne conseillère d'Etat genevoise rejette faire une relecture 'bien-pensante' de l'histoire. "Honnêtement, ce n'est pas du 'wokisme' que de dire qu'aujourd'hui, on n'a pas à regarder les autres avec une hiérarchie par rapport à ce qu'ils sont." Selon elle, il faut que "chacun soit confronté à la réalité".
Enseignement à l'école
L'ancienne cheffe du Département de l'instruction publique genevois demande aux autorités d'intégrer le passé esclavagiste de la Suisse dans la matière enseignée à l'école. "Il faut que quand on parle de racisme, ce ne soit pas simplement le racisme qui se passe ailleurs — c'est beaucoup plus facile — mais qu'on soit aussi confrontés à notre histoire et qu'on en explique aussi le contexte, c'est très important. Il ne s'agit pas de culpabiliser, il s'agit de savoir."
Martine Brunschwig Graf précise: "Il ne faut pas déboulonner les statues, enlever les symboles du colonialisme. Il s'agit simplement de les expliquer et de dire que c'était une réalité, de la connaître. Moi, je suis pour le savoir. C'est très important pour la façon dont on aborde le présent et le futur."
Interview radio: Pietro Bugnon
Version web: Antoine Schaub