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Mgr Charles Morerod: "Les difficultés que je rencontre dans ma carrière ne sont pas celles que j'avais prévues"

Mgr Charles Morerod interviewé dans l'émission #Helvetica [#Helvetica (RTS, capture d'écran)]
#Helvetica: Mgr Charles Morerod, Evêque du Diocèse de Lausanne Genève et Fribourg / #Helvetica / 21 min. / le 11 mai 2024
Dans "Tu n'abuseras point", un livre d'entretiens paru le 10 mai, l'évêque de Lausanne, Genève et Fribourg Charles Morerod revient longuement sur le scandale des abus sexuels dans l’Eglise catholique. Un drame auquel il n'aurait jamais imaginé, au moment de l'appel au sacerdoce, devoir un jour faire face.

Quand il a décidé de dédier sa vie à Dieu, Monseigneur Charles Morerod ne s'attendait pas à ce que cela soit toujours facile. "Mais les difficultés ne sont pas celles que j'avais prévues", confie-t-il sur le plateau de l'émission Helvetica.

Il faut dire que l'Eglise catholique romande est visée depuis quelques mois par de nombreuses révélations d'abus sexuels commis en son sein ces dernières décennies. Une situation que l'évêque de Lausanne, Genève et Fribourg, en place depuis 2011, hérite aujourd'hui et à laquelle il essaie tant bien que mal de faire face.

"Une deuxième vie"

L'intervention chirurgicale d'urgence subie en septembre dernier en raison d'un double hématome cérébral n'arrange rien à la situation. Echappé de justesse à la mort, Mgr Charles Morerod voit cependant dans cette expérience un appel à s'exprimer sur la problématique de ces abus sexuels commis au sein de l'Eglise, dans leur dimension systémique.

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Cette "deuxième vie" qui lui est offerte le pousse à publier un livre d'entretiens. Intitulé "Tu n'abuseras point", l'ouvrage écrit par Camille Krafft, journaliste au journal Le Temps, raconte son histoire: celle d'un évêque du XXIe siècle secoué par des drames et des scandales, et qui pense avoir un rôle à jouer pour en prévenir d'autres et réparer le mal.

C'est comme si je n'avais plus rien à perdre

Mgr Charles Morerod

"Par le passé, j'ai été peut-être un peu trop patient. Et à force d'être trop patient, j'ai failli ne pas pouvoir faire certaines choses", explique-t-il au micro de l'émission Helvetica.

Cette seconde chance, raconte-t-il, s'est donc imposée tout naturellement à lui comme une opportunité pour enfin prendre la parole et s'exprimer au sujet de ces affaires qui ternissent l'image d'une institution, l'Eglise, et de tous ceux qui travaillent de près ou loin pour elle, qu'ils soient prêtres ou laïques. "C'est comme si je n'avais plus rien à perdre", poursuit-il.

Des dizaines de victimes rencontrées

Depuis les premières révélations d'abus au sein de son diocèse, Mgr Charles Morerod a rencontré des dizaines de victimes. Il dit comprendre leur détresse, et parfois aussi leur désir de quitter l'Eglise. "C'est en voyant les choses de près qu'on en comprend la signification, et là, en l'occurrence, c'est la souffrance de toute une vie", déplore-t-il. S'il était à leur place, il confie qu'il aurait d'ailleurs sûrement envisagé, comme beaucoup d'entre eux, de quitter l'Eglise.

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C'est pourquoi aujourd'hui, Charles Morerod signale systématiquement tous les cas qui lui sont rapportés, même si la victime se montre réticente à ce que son histoire dépasse le cadre de la confession. "Je comprends bien que ça n'est pas toujours facile pour la victime. Mais on ne peut pas prendre le risque qu'un abuseur continue ses abus."

Il y a plusieurs mois, l'évêque n'a d'ailleurs pas hésité à dénoncer publiquement les abus de son prédécesseur, Mgr Bernard Genoud, envers une victime qui était venue le voir. Et ce, même si le principal intéressé, décédé en 2010, n'est plus là pour se défendre. "Ce qui m'a poussé à le faire, c'est de voir cette personne qui souffre depuis longtemps porter ce poids en elle, disant que c'était en train de la détruire. Il fallait que ça sorte."

L'Eglise catholique n'a plus la place prédominante qu'elle avait autrefois. Ceci nous aide, en tant que prêtres, à nous sentir mieux que quand nous étions mis sur un piédestal

Mgr Charles Morerod

Une chose qui n'a pas été facile, confie-t-il, car il s'agissait de dénoncer ce qu'avait fait son prédécesseur, qui était un ami et avait joué un rôle considérable dans sa propre vocation. Mais il ne regrette rien: "J'avais la crainte explicite qu'elle ne survive pas. Mais je l'ai revue quelques semaines après et elle m'a dit qu'elle n'avait plus besoin de médicaments, qu'elle arrivait à nouveau à dormir. Tout ça a servi à ce qu'elle se sente mieux", se réjouit-il.

Statut privilégié de prêtre à déconstruire

Toutes ces affaires d'abus remettent en question le statut du prêtre qui était, par le passé, presque intouchable. Une position privilégiée qu'il faut aujourd'hui déconstruire à tout prix, insiste Mgr Morerod.

"L'Eglise catholique n'a plus la place prédominante qu'elle avait autrefois. C'est une bonne nouvelle pour l'Etat et pour l'Eglise", insiste-t-il. "Ceci nous aide, en tant que prêtres, à nous sentir mieux que quand nous étions mis sur un piédestal", conclut-il

Propos recueillis par Philippe Revaz

Adaptation web: Fabien Grenon

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