Depuis douze ans, la Suisse et l’Union européenne cherchent à réviser leurs accords bilatéraux, signés il y a plus d’un quart de siècle et devenus obsolètes à bien des égards. Désormais, avec l’objectif de conclure d’ici la fin de l’année, les négociateurs tentent de finaliser des points délicats, dont celui de la libre circulation des personnes, un sujet qui a récemment suscité des tensions.
En 25 ans de libre circulation, la Suisse a-t-elle vraiment connu des graves difficultés économiques et sociales du fait des citoyens de l’Union européenne? Non
Pour Petros Mavromichalis, ambassadeur de l’Union européenne en Suisse, la majorité des demandes helvètes ont pourtant déjà été acceptées: "Tout ce que la Suisse a demandé, elle l’a déjà obtenu", estime-t-il. Il s’étonne donc que la question de la libre circulation reste un point de blocage, d’autant plus que les deux parties y ont déjà consacré dix-huit mois de négociations.
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Une ligne rouge pour l'Union européenne
Le récent "coup de froid" est survenu lorsque l’Union européenne a réaffirmé son refus d’accorder à la Suisse une clause permettant de fermer temporairement ses frontières en cas d’afflux de travailleurs européens. Invité de La Matinale mercredi, Petros Mavromichalis a relativisé cette position, en estimant que Berne avait déjà des solutions à sa disposition à ce sujet.
"La Suisse a déjà obtenu un certain nombre d'exceptions au principe de la libre circulation: le droit d'expulser les étrangers condamnés sur son territoire selon sa Constitution, ainsi que de limiter l'accès à la résidence permanente pour ceux qui auraient recours à l'aide sociale pendant de longues périodes", explique-t-il. Pour lui, l'UE a donc déjà fait "beaucoup de concessions" et il s'agit maintenant de "respecter les règles" pour pouvoir "participer au marché intérieur de l'Union".
Le diplomate rappelle également que l’actuel accord sur la libre circulation inclut déjà une "clause de sauvegarde", permettant aux deux parties d’adopter des mesures temporaires en cas de difficultés économiques ou sociales graves. Il remet aussi en question l’urgence de la demande suisse en matière de frontières. "En 25 ans de libre circulation, le pays a-t-il vraiment connu des graves difficultés économiques et sociales du fait des citoyens de l’Union européenne qui viennent travailler chez vous? Non. Nos citoyens viennent ici parce qu'il y a des emplois et qu'ils sont qualifiés pour occuper ces emplois. Donc ils sont sources de croissance et de prospérité pour la société suisse", juge-t-il.
"Après, j'entends bien les discussions sur les trains bondés, les autoroutes embouteillées et le fait qu'on trouve plus difficilement du logement. Mais c'est en quelque sorte le revers de la médaille de la croissance", ajoute-t-il.
"Pas de menace"
Pour l’Union européenne, la mise à jour des accords bilatéraux ne constitue pas une simple formalité: elle est vue comme essentielle pour assurer la pérennité de relations stables avec un voisin et partenaire commercial important. Mais sans une révision institutionnelle, l’UE prévient que les accords en cours ne pourront pas être renouvelés. "Nous n'allons pas continuer sur cette voie", souligne Petros Mavromichalis, expliquant que l’Union doit établir des bases solides. "Cela veut dire que les accords qui doivent être renouvelés, mis à jour, ne le seront pas, et que nous ne conclurons pas de nouveaux accords."
De bonnes relations avec le voisin devraient être une évidence
Interrogé pour savoir si ce type de positionnement n'était pas une menace, le diplomate réfute. "Non, ce n'est pas une menace. C'est simplement une décision. Je veux dire, si une forme de relation ne vous convient pas, vous n'êtes quand même pas obligés de persévérer éternellement. Il n'y a pas de menace, c'est juste notre politique", détaille-t-il.
Le référendum, test décisif
Si un accord est trouvé d’ici fin décembre, la Suisse devra ensuite se prononcer par référendum. Conscient des défis que cela représente, Petros Mavromichalis se prépare à une campagne tendue.
"Je vois que les opposants fourbissent leurs armes et que l'on s'y prépare. Donc, on ne sera pas sorti de l'auberge à la fin de l'année", admet-il, tout en soulignant que les Suisses sont en grande majorité favorables au processus de négociation en cours, sans pour autant envisager une adhésion. Pour lui, l'UE n'a pas à faire rêver, mais les citoyens suisses doivent comprendre l'intérêt que le pays a d'avoir un accord avec ses partenaires européens.
"L'UE est le premier partenaire de la Suisse. La Suisse est un pays exportateur et plus de 50% des échanges commerciaux sont réalisés avec l'Union (...) de bonnes relations avec le voisin devraient être une évidence. Nous sommes aussi proches sur le plan de la culture, des langues, des traditions, des valeurs. Je pense aussi que les citoyens suisses apprécient de pouvoir voyager sans entraves dans les pays voisins, de pouvoir étudier à l'étranger s'ils le souhaitent, de pouvoir travailler à l'étranger en bénéficiant des mêmes droits que tous les citoyens de l'UE. De bonnes relations sont donc certainement à l'avantage des citoyens de ce pays", conclut-il
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Propos recueillis par Pietro Bugnon
Adaptation web: Tristan Hertig