Philippe Rebord, ex-chef de l'armée: "L'intervention de la Russie change tous les paradigmes"
La guerre en Ukraine a rebattu les cartes de la sécurité en Europe, avance le chef de l'armée de 2017 à 2019. "L'intervention de la Russie change tous les paradigmes", lance Philippe Rebord.
L'ex-commandant de corps, qui avait quitté ses fonctions pour des raisons de santé, fait un petit point de stratégie militaire: "Quand on a affaire à une armée adverse potentielle, on doit mesurer ses capacités et sa volonté d'engager ces capacités. Si vous n'avez ni l'une ni l'autre, vous n'êtes pas une menace. Là, manifestement, il y a des capacités et une potentielle volonté. Il s'agit donc de se préparer", argumente le militaire de carrière.
L'ancien haut gradé admet que Kiev et Zurich se trouvent à bonne distance l'une de l'autre. Mais il qualifie de "menace très sérieuse" une attaque russe sur un pays balte pour tester la réponse de l'Otan. Selon l'article 5 du Traité de l'Atlantique nord, les alliés se doivent assistance mutuelle. "En cas de non-réaction, l'Otan prouverait que son système n'est pas fiable", envisage Philippe Rebord.
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Des citoyens soldats à équiper entièrement
Pour lui, la situation exige de pouvoir équiper les soldats suisses correctement. En effet, il indique qu'une partie des troupes n'a pas assez de matériel. "Par exemple, sur nos 17 bataillons d'infanterie, nous pouvons en équiper au maximum 6 ou 7. Ce n'est pas crédible", lance celui qui a servi dans cette arme.
Rééquiper les 100'000 hommes que compte l'armée nécessitera 20 ans d'efforts, dit-il encore.
Il demande aussi de garantir les effectifs et de "redonner ses lettres de noblesse à l'obligation de servir". Car à ses yeux, le plus important ce sont "les citoyens-soldats".
En Suisse, on a un peu mythifié la neutralité
Le Parlement suit la même ligne et considère que l'armée doit être mieux dotée. Le législatif fédéral a accepté la semaine passée de lui allouer 4 milliards de francs supplémentaires pour les années 2025-2028.
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Redéfinir la neutralité
Le rapport sur la sécurité, publié au mois d'août, préconise également de se rapprocher de l'Otan, en envoyant notamment des soldats en exercices avec l'alliance militaire. Une démarche que conteste l'UDC, qui estime que la neutralité serait mise à mal. "Se rapprocher ne signifie pas adhérer", soutient Philippe Rebord. "Il est légitime de s'entraîner avec le seul partenaire qui pourrait opérer avec nous (…). La neutralité permet de s'allier en cas de nécessité."
Et de lancer: "En Suisse, on a un peu mythifié la neutralité. Il fallait à l'époque contribuer à la cohésion du pays. Je pense que cela a été bénéfique". Or, la neutralité "n'est pas un but en soi. C'est un outil de la politique de sécurité. C'est le Conseil fédéral qui décide de la façon dont il veut l'utiliser", fait-il valoir.
Le principe doit donc être questionné, d'après le Valaisan. "Nous devons reposer les fondamentaux pour clarifier le débat", estime-t-il, rappelant que la Suède et la Finlande ont rejoint dernièrement l'Otan. "Le dernier rapport sur la neutralité date des années 90. Nous sommes dans un autre monde."
Propos recueillis par Delphine Gendre
Texte web: Antoine Michel