"L'eau minérale naturelle doit se distinguer (…) par sa pureté originelle". C'est ce que stipule l'ordonnance fédérale sur l'eau minérale. Mais est-ce réellement le cas? Pour le savoir, les émissions A bon entendeur et On en parle de la RTS ont fait analyser le contenu d'une dizaine d'eaux minérales achetées en Suisse. Les eaux ont été testées dans deux laboratoires différents, qui y ont recherché des traces de plastique, des polluants de type PFAS et des pesticides - dont le chlorothalonil.
Résultat: Henniez, Valser, Swiss Alpina et San Pellegrino contenaient des polluants (voir tableau ci-dessous), soit quatre sur dix. Aucune substance problématique n'a en revanche été repérée chez Aproz, Rhäzünser, Cristallo, Evian, Saskia et l'eau minérale Denner.
Du chlorothalonil détecté dans l'eau Nestlé
Le cas le plus frappant est celui de l'eau d'Henniez dans laquelle des métabolites de deux pesticides ont été détectés, le chloridazone mais aussi le chlorothalonil, un produit hautement controversé. Ce fongicide, utilisé notamment dans la culture des céréales, des pommes de terre ou de la vigne, a en effet été classé "cancérigène probable" par l'Union européenne en 2019, qui l'a par la suite interdit. La Suisse lui a emboîté le pas avant d'être bloquée par des recours de Syngenta, producteur de la substance (lire encadré).
Interrogé, Nestlé Waters, propriétaire d'Henniez, n'a pas répondu aux questions précises de la RTS mais affirme que "l'eau minérale naturelle Henniez est sûre à consommer". La multinationale affirme par ailleurs répondre aux exigences réglementaires et précise que "les petites traces de résidus indésirables trouvées dans l'eau minérale naturelle Henniez sont similaires à une goutte dans une piscine olympique de 2,5 millions de litres".
Pour rappel, l'usine d'Henniez s'est retrouvée au cœur d'un scandale en début d'année, après que Le Temps a révélé que l'eau avait été filtrée de manière illicite pendant des années avant d'être mise en bouteille. Il y a quatre ans, des analyses effectuées pour le compte d'On en parle et d'A bon entendeur n'avaient détecté aucun résidus de pesticides dans l'eau d'Henniez. Mais Nestlé Waters refuse de dire si son système de filtration illicite permettait justement de traiter ce type de pollution.
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Des PFAS dans l'eau Valser
L'eau Valser contenait pour sa part des traces de PFAS, ces polluants que l'on qualifie d'éternels en raison de leur persistance dans l'environnement et qui peuvent être liés à différents problèmes de santé. Coca-Cola, propriétaire de la source grisonne, y voit le reflet de "l'impact environnemental plus large des activités humaines" et se veut également rassurant: "Nous tenons à vous assurer que les quantités de substances détectées sont non seulement minimes, mais aussi nettement inférieures par rapport aux seuils de sécurité fixés pour l'eau potable et les produits agricoles, et ne présentent donc aucun risque pour la santé".
Enfin, des résidus de plastique ont été trouvés dans des bouteilles de San Pellegrino (Nestlé Waters) et de Swiss Alpina (Coop). Plus précisément du PET dans l'eau italienne et du polystyrène dans l'eau suisse. Des résultats d'analyses contestés par les deux marques qui assurent que leurs propres contrôles ne donnent pas les mêmes résultats.
"Le premier sentiment est une forme de tromperie et de déception", réagit Céline Vara, conseillère aux Etats écologiste (NE). "On paie pour une eau minérale qu'on pense exempte de produits toxiques et ça génère de la colère légitime parce qu'on a vraiment l'impression d'être trompé. Et puis il y a la problématique de la santé publique: on sait que ces produits créent des maladies, des cancers, l'infertilité et finalement, c'est la preuve du désastre écologique que nous vivons aujourd'hui."
Interrogé dans l'émission On en parle, le chimiste cantonal genevois Patrick Edder relativise: "Les valeurs maximales fixées pour les pesticides, notamment dans l'eau, ne sont pas des valeurs qui ont été fixées par rapport à la toxicologie, mais par principe de précaution. Ces valeurs sont déjà très protectrices".
Et l'eau du robinet?
L'émission On en parle s'est rendue dans le village d'Henniez, dans la Broye, en mars 2024. Avec une bouteille stérile, un échantillon de l'eau du robinet a été prélevé chez un habitant, puis envoyé dans un laboratoire. Résultat: cette eau contient les mêmes substances (métabolites issus du chlorothalonil et du chloridazon) que l'eau en bouteille, mais en quantités plus élevées.
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Patrick Edder se montre prudent à propos de ces échantillons. "S'il devait y avoir des fluctuations dans les teneurs en chlorothalonil et qu'elles étaient en hausse, cette eau pourrait bien devenir non conforme à la réglementation, comme celle de beaucoup d'autres communes sur le Plateau suisse. Nous attendons les directives de l'OSAV. Ce n'est qu'à très long terme que la consommation de ces substances pourrait présenter un risque. L'eau va rester consommable, mais on demandera au fournisseur de chercher des solutions pour diminuer les concentrations de pesticides dans cette eau de réseau, soit en puisant dans d'autres sources, soit en s'interconnectant avec des réseaux d'autres communes où l'eau est moins contaminée."
Plus généralement, pour le chimiste cantonal genevois, les ressources en eau "doivent impérativement être protégées". Sans cela, le traitement des eaux souterraines pourrait devenir nécessaire pour garantir la qualité de l'eau potable, comme c'est le cas pour les eaux de surfaces.
Bastien von Wyss, Mathieu Truffer, Stéphane Fontanet, Elisa Casciaro, Linda Bourget
Chlorothalonil: la justice donne tort à Syngenta
Syngenta vient de perdre une manche dans le bras de fer qui l'oppose à la Confédération depuis quatre ans. Comme l'a appris la RTS, le Tribunal administratif fédéral (TAF) a en effet rejeté en mars dernier un recours du fabricant de chlorothalonil. Le géant de l'agrochimie avait saisi la justice en 2020, à la suite de la décision de Berne d'interdire l'utilisation du chlorothalonil et d'imposer des valeurs limites restrictives sur les résidus de la substance dans l'eau potable.
Le TAF avait alors prononcé des mesures provisionnelles à l'encontre des autorités, leur interdisant de présenter le chlorothalonil comme une substance "probablement cancérigène" et de qualifier ses résidus (métabolites) de potentiellement dangereux. Les offices fédéraux concernés avaient ainsi été réduits au silence sur le dossier.
La décision du tribunal publiée en toute discrétion il y a quelques semaines devrait donc libérer les autorités sur le sujet. Interrogé, l'Office fédéral de la sécurité alimentaire (OSAV) reste toutefois mutique: "L'OSAV a pris connaissance de l'arrêt du Tribunal administratif fédéral. Nous informerons officiellement au cours du mois de mai."
Mais les attentes envers ses services se font déjà sentir. "L'OSAV retrouve aujourd'hui son devoir d'information", estime la Conseillère aux Etats Céline Vara (Les Vert-e-s/NE). "Il doit informer, prendre des mesures plus contraignantes vis-à-vis de ces produits toxiques et problématiques".
Le bras de fer juridique entre Syngenta et la Confédération se poursuit sur la question fondamentale de l'interdiction de l'utilisation du chlorothalonil en Suisse. Syngenta a en effet également recouru contre cette interdiction et le verdict du TAF n'est pas encore tombé. "Nous prenons note du jugement du Tribunal administratif fédéral concernant l'information des autorités. Il s'agit d'un jugement secondaire. Nous ne ferons pas appel. Le jugement principal au sujet de l'interdiction du chlorothalonil est toujours en attente."