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Que penser de la révision du 2e pilier? Les grands enjeux d'une réforme complexe

Deux ans après la révision de l'AVS, c'est au tour du deuxième pilier de passer à l'épreuve des urnes le 22 septembre. Le projet est soutenu par la majorité du Parlement et de nombreuses associations économiques, mais les syndicats, soutenus par la gauche, ont lancé le référendum. Tour d'horizon des enjeux de cette bataille de chiffres.

La réforme de la Loi sur la prévoyance professionnelle (LPP) est l’un des projets les plus complexes soumis au vote au cours des dernières années, notamment parce que la Suisse compte plus de 1000 caisses de pension. Nombre d’entre elles ont leurs propres règlements. Les électrices et les électeurs doivent ainsi faire quelques recherches pour savoir s'ils sont personnellement concernés par cette réforme et de quelle manière.

Pourquoi faut-il réformer le deuxième pilier?

L'idée centrale de la réforme du deuxième pilier est de garantir le financement à long terme des futures rentes LPP. Le fait que les gens vivent de plus en plus longtemps en Suisse et perçoivent ainsi une rente plus longtemps pèse sur les finances des caisses de pension.

Le capital vieillesse disponible au moment de la retraite est versé chaque année au même taux jusqu’à la fin de la vie, indépendamment de la durée de vie ou de l'utilisation du capital. D'autre part, les rendements perçus par les caisses de pension ont diminué.

Un autre objectif de la réforme est de mieux protéger les travailleuses et travailleurs à temps partiel et les personnes ayant des bas salaires. Selon la ministre de l’Intérieur Elisabeth Baume-Schneider, il s’agit surtout des femmes, qui travaillent souvent à temps partiel et dans des métiers moins bien payés.

Les cinq principales mesures de la réforme

La principale mesure de la réforme de la LPP est la baisse du taux de conversion. Derrière cette appellation barbare se cache le pourcentage qui détermine la rente annuelle par rapport au capital vieillesse accumulé. Aujourd’hui, ce taux est de 6,8%, ce qui signifie qu’une caisse verse chaque année 6800 francs de rente pour 100'000 francs de capital vieillesse. La réforme prévoit de diminuer ce taux à 6%, ce qui correspond à une baisse de 12% environ. Toutefois, il sera théoriquement possible de profiter plus longtemps du capital vieillesse.

Pour pallier la baisse du taux de conversion et éviter dans la mesure du possible une diminution des rentes, l'idée est d'introduire des mesures de compensation. La première de ces mesures consiste à augmenter le salaire assuré dans la partie obligatoire de la prévoyance professionnelle, grâce à une adaptation de la déduction de coordination, c'est-à-dire le montant soustrait du salaire brut pour déterminer le salaire LPP assuré.

Actuellement, la déduction de coordination est un montant fixe (25'725 francs en 2024). Si la réforme est acceptée, elle s'élèvera à 20% de salaire, jusqu’à un montant de 88’200 francs. Cette modification devrait permettre d'assurer une part plus grande du salaire, principalement pour les personnes au bénéfice de petits revenus. L'idée est de cotiser davantage pour obtenir davantage à la retraite.

Deuxièmement, le projet prévoit également d'introduire un supplément de rente pour la génération transitoire. La compensation est calculée en fonction de l’âge et du montant du capital vieillesse épargné, et ce pour les personnes qui atteindront l'âge de la retraite dans les 15 ans après l'entrée en vigueur du nouveau régime. Plus les personnes concernées sont âgées et moins elles ont épargné de capital, plus le montant du supplément est élevé. Le maximum est fixé à 200 francs par mois.

Pour améliorer la situation des personnes à bas revenus, la réforme propose également d'abaisser le seuil d'accès à la LPP. Aujourd'hui, pour être assuré par une caisse de pension, il faut gagner au moins 22'050 francs par an auprès d'un même employeur. A l'avenir, cette limite serait reculée à 19'845 francs par an. Cela devrait permettre à quelque 70'000 personnes supplémentaires d'être assurées, en majorité des femmes.

Enfin, le projet veut donner un coup de pouce aux travailleurs âgés grâce à une adaptation des bonifications de vieillesse. Le pourcentage du salaire qui est affecté à la caisse de pension augmente avec l’âge. Aujourd’hui, cela se fait de manière échelonnée en quatre étapes ; la réforme ne conserve plus que deux étapes (25-44 ans et 45-65 ans). Les cotisations seraient ainsi légèrement augmentées pour les salariés de 25 à 34 ans et légèrement abaissées pour les autres groupes d'âge.

Cette mesure doit augmenter les chances des travailleurs âgés sur le marché du travail. En effet, les cotisations élevées à la caisse de pension rendent actuellement les personnes de plus de 55 ans plus chères pour les employeurs que les jeunes travailleurs, ce qui les prétérite.

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Qui est concerné?

Il est difficile de répondre à cette question de manière générale. En effet, de nombreuses caisses de pension ont déjà établi aujourd’hui des taux de conversion plus bas. Elles ont le droit de le faire si cela ne concerne pas le taux de conversion minimum légal. Celui-ci ne règle que la partie obligatoire du capital vieillesse, qui s’applique jusqu’à un salaire annuel de 88’200 francs. En Suisse, la plupart des assurés sont affiliés au régime surobligatoire. Nombre d’entre eux ont donc déjà des taux de conversion inférieurs à 6,8%.

La réforme aurait surtout un effet sur les 15% à 30% d’assurés qui sont principalement couverts par la partie obligatoire.

Qui dit oui et pourquoi?

Parmi les partisanes et les partisans, on compte le Conseil fédéral et la majorité du Parlement, les partis bourgeois et de nombreuses associations économiques. Pour la conseillère fédérale chargée du Département de l'intérieur Elisabeth Baume-Schneider, le projet est "un progrès qui apporte beaucoup de choses positives". Le Conseil fédéral présente la réforme comme une solution de compromis juste et équilibrée.

>> Lire aussi : La réforme du deuxième pilier sera bénéfique aux temps partiels, plaide un comité interpartis

Le camp du oui affirme que les futures rentes de la prévoyance professionnelle obligatoire pourront ainsi à nouveau être financées durablement. Il souligne le fait que la réforme de la LPP améliore la prévoyance vieillesse des personnes aux revenus les plus faibles. Environ 360’000 personnes bénéficieraient d’une rente plus élevée, en grande partie des femmes, car les personnes travaillant à temps partiel, les personnes qui ont plusieurs activités professionnelles et les bas revenus en profiteraient.

Autre argument: la réforme met également fin à une injustice, car aujourd’hui, les personnes actives doivent financer les rentes des actifs avec les rendements de leurs avoirs de vieillesse. Les partisans du projet craignent en outre qu'un non dans les urnes ne consolide le blocage de la réforme du deuxième pilier pour au moins dix années supplémentaires.

Qui dit non et pourquoi?

Parmi les adversaires de la réforme figurent les syndicats, le Parti socialiste, Les Verts et certaines associations de branches à bas salaires comme Gastrosuisse. Ils craignent un renchérissement du travail dans le secteur des bas salaires. L’Union suisse des paysans a décidé de ne pas donner de mot d’ordre.

Les opposants critiquent en particulier la combinaison de la baisse du taux de conversion et de l’augmentation simultanée des cotisations salariales. "Avec ce projet, les gens doivent payer plus pour percevoir des retraites plus basses", déclare Urban Hodel de l’Union syndicale suisse (USS). En contrepartie, c'est l’industrie financière qui en profiterait, car celle-ci absorbe des milliards provenant des caisses de pension. Concrètement, les syndicats estiment que certaines personnes concernées recevraient jusqu’à 3200 francs de rente en moins.

>> Lire aussi : Les opposants à la réforme de la LPP dénoncent un texte en faveur de la finance et non des travailleurs

Les milieux syndicaux contestent aussi l’argument selon lequel ce sont surtout les femmes qui en profiteraient: "Il manque des solutions pour les interruptions de travail liées à la famille et le travail à temps partiel. De plus, de nombreuses personnes exerçant plusieurs activités, comme les mamans de jour ou les femmes de ménage, ne seront toujours pas affiliées à une caisse de pension", critiquent-ils.

Chiffres erronés de l'OFAS: quel impact?

Le 6 août, l'Office fédéral des assurances sociales (OFAS) annonçait s'être trompé dans les prévisions financières de l'AVS, avec des dépenses quatre milliards inférieures à ce qui était initialement prévu pour 2033. Depuis lors, cette erreur de calcul suscite la controverse dans le monde politique, certaines voix appelant à annuler le vote sur le relèvement de l'âge de la retraite des femmes en 2022. Plus généralement, cette affaire sème le doute sur la fiabilité des chiffres de l'administration lors des campagnes de votation.

Mais il est pour l'heure impossible de dire quel sera l'impact sur le vote du 22 septembre. Le sondage SSR, réalisé par l'institut gfs.bern en partie avant l'annonce de l'OFAS, donnait le oui à 49%, contre 39% pour le non et 12% d'indécis. Mais l'enquête de Tamedia, réalisée dans les deux jours qui ont suivi la révélation de la bourde, créditait les opposants de 59% des intentions de vote, loin devant le oui (33%). Pour la politologue Martina Mousson, il faut attendre le deuxième sondage des deux parties pour tirer des conclusions valides.

>> Pour en savoir plus : Légère avance pour l'initiative sur la biodiversité et incertitude pour la réforme LPP, selon un sondage SSR et L'Office fédéral des assurances sociales se trompe de 4 milliards dans les projections des dépenses de l'AVS

>> Voir aussi le reportage du 19h30 sur les conséquences de l'erreur de l'OFAS sur le vote :

L’ombre des erreurs de calcul dans l’AVS plane sur la prochaine votation sur la réforme du 2e pilier
L’ombre des erreurs de calcul dans l’AVS plane sur la prochaine votation sur la réforme du 2e pilier / 19h30 / 1 min. / le 13 août 2024

>> Lire aussi: l'article original sur le site de Swissinfo

Balz Rigendinger, Swissinfo

Texte adapté par Didier Kottelat

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Le système des trois piliers en bref

La prévoyance vieillesse suisse est un système qui repose sur trois piliers. Le premier pilier est constitué par l’Assurance vieillesse et survivants (AVS). Il s’agit de la prévoyance étatique obligatoire. Celle-ci repose sur l’idée que la population suisse doit recevoir une pension de base qui lui permette de vivre. Le financement de l'AVS repose sur le système de répartition, c'est-à-dire que les cotisations des actifs sont directement versées aux retraités.

Le deuxième pilier est la prévoyance professionnelle (LPP). Les personnes actives sont affiliées à des caisses de pension. Celles-ci sont financées par des cotisations salariales versées par les employés et les employeurs. Le deuxième pilier est basé sur le principe de capitalisation, c'est-à-dire que les assurés touchent à la retraite le capital accumulé durant leur vie active. Son objectif est de permettre aux retraités de conserver leur niveau de vie habituel.

Enfin, le troisième pilier est l’épargne privée facultative en vue de la retraite et sert à couvrir les besoins individuels supplémentaires à la fin de la vie professionnelle. Encouragés fiscalement par l'Etat, les versements peuvent être déduits du revenu imposable.