Mikhailo, 23 ans, est arrivé en Suisse quelques semaines après le début de la guerre. Aujourd'hui, il vit en colocation avec d'autres jeunes Ukrainiens à Couvet, un petit village dans le Val-de-Travers. "Au début quand je suis arrivé en Suisse, je culpabilisais beaucoup. J'ai arrêté les réseaux sociaux parce que je ne voulais pas que les gens voient que je suis en paix, même si ce n'est pas ma faute si j'ai survécu."
Son master en management en poche, Mikhailo a décroché un poste d'opérateur pour un fournisseur de téléphonie, et commencera son nouvel emploi dans quelques semaines. Un travail qu'il a trouvé tout seul, via une plateforme de recherche d'emploi. "Je ne voulais pas profiter des aides sociales, parce que je ressens une forme d'humiliation, je préfère être indépendan." Au bénéfice du statut de protection "S", la question d'un retour un jour dans son pays reste aujourd'hui sans réponse. "Je ne sais pas ce que la Suisse va décider, si le pays décide de lever mon statut, je repartirai."
Faut-il lever le statut "S"?
Activé en mars 2022 pour les personnes fuyant la guerre en Ukraine, le statut de protection "S" a été prolongé par le Conseil fédéral jusqu'au 4 mars 2025. L'incertitude liée au statut contribue aussi à freiner l'intégration des Ukrainiens et Ukrainiennes sur le marché du travail du fait de son caractère provisoire, souligne Amélie Cittadini, responsable des statuts S à l'Hospice général à Genève. Une clarification de leur statut permettrait aux réfugiés ukrainiens de se projeter à long terme en Suisse, selon elle.
Aujourd'hui, un peu plus de 20% des 66'000 Ukrainiens en Suisse ont un travail, avec d'importantes différences entre cantons: à Genève, le taux d'emploi atteint 9,7%, alors qu'il est de 23,4% à Berne et de 29,5% en Argovie. Le Conseil fédéral aimerait que 40% des réfugiés ukrainiens travaillent d'ici à la fin 2024. Le Parlement veut faciliter les procédures pour que les entreprises puissent engager plus simplement les détenteurs du permis S.
Reconnaissance des diplômes
À Genève, la Croix-Rouge aide ces nouveaux arrivants à trouver leurs marques. Dans le centre d’accueil de jour, une dizaine de personnes reçoivent des conseils en ukrainien. "Quand les personnes arrivent chez nous, elles sont souvent déboussolées", explique le responsable du centre, Waël Husain Riberra, "mais le fait de rencontrer d'autres personnes d'Ukraine qui sont là depuis plusieurs mois et qui peuvent les aider à comprendre les spécificités locales, ça les rassure."
C'est alors que commence un long parcours d'intégration: "L'intégration est quelque chose de multifactoriel, il y a notamment la reconnaissance des diplômes pour les métiers d'infirmier, d'avocat par exemple. C'est long et coûteux et je pense que de nombreuses personnes sont encore dans ce processus-là, mais l'étape principale reste la maîtrise de la langue", note Waël Husain Riberra.
Interrogée dans Forum, l'ancienne conseillère d'Etat vaudoise et désormais professeure titulaire de la chaire de droit des migrations à l'Université de Neuchâtel, Cesla Amarelle, va aussi dans ce sens.
"Sur la base de l'expérience qu'on a avec les admis provisoires - le permis F - au bout de deux ans, ils sont à 15% d'intégration avec activité lucrative. Avec les statuts S, on est à plus de 20%, donc c'est déjà plutôt bien en comparaison. Cela prend environ cinq à six ans pour arriver à des seuils qui dépassent les 50-60%", explique Cesla Amarelle.
Elle préconise donc une levée des entraves actuelle pour augmenter ce taux, comme ce fut le cas en 2014 lorsqu'il y avait eu une volonté politique forte en ce sens, combinée à un programme d'intégration qui soit solide. "A partir de là, on a fait décoller le pourcentage d'intégration, donc il faut un peu la même chose pour les statuts S", estime Cesla Amarelle.
Accepter sa nouvelle vie
Zahra Astaneh est formatrice de français à la fondation Trait d'Union proactif à Morges. "Au début, c'est difficile d'apprendre la langue et la culture, ça prend du temps et parfois cela fait juste trop. Lorsque les gens commencent à accepter leur situation, ils vont beaucoup plus vite dans l'apprentissage."
Accepter sa nouvelle vie et assumer ce choix de l'exil, c'est ce qu'ont dû faire Tatiana et ses trois enfants: "C'est difficile de s'intégrer quand on culpabilise. Pour les amis restés au pays, on est des traîtres, ils pensent que c'est héroïque d'être resté, mais moi, je voulais juste survivre et vivre avec mes enfants".
Tatiana pensait repartir chez elle après quelques semaines, mais la guerre s'enlise et les mois passent. L'avenir, elle l'entrevoit désormais en terre helvétique avec ses enfants. "Quand j'aurai un bon niveau de français, je pourrai reprendre une formation et trouver un travail, c'est important pour notre famille", lance-t-elle.
Sujet radio: Elias Baillif et Joëlle Cachin
Adaptation web: Katia Bitsch