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Scandales pédophiles, minorités rejetées… L'Eglise suisse perd des fidèles

En Suisse, plus d’un catholique sur 100 s’est désaffilié en 2022. Depuis plusieurs années, ce phénomène s’accentue, notamment en raison des abus pédophiles commis par des prêtres et des positions conservatrices du Vatican sur les minorités.

De plus en plus de fidèles quittent l'Eglise catholique romaine suisse: c'est le constat du rapport publié en octobre 2023 par le SPI, Institut suisse de sociologie pastorale. Sur les quelque 2,9 millions de membres, 1,3 catholique sur 100 s'est désaffilié en 2022, ce qui représente 34'561 sorties, contre 34'182 l'année précédente.

Ce nouveau record inquiète les experts du SPI. Ils pointent dans leur étude plusieurs raisons. La baisse de la croyance chrétienne n'est pas nouvelle, mais ces dernières années, les spécialistes observent une hausse des demandes de sortie à la suite de révélations d'abus sexuels commis par des prêtres. 

Les abus pédophiles comme motif de départ

Nathalie* a quitté l'Eglise catholique en 2017. Pour elle, l'élément déclencheur a été la diffusion d'un reportage sur des abus survenus à la cathédrale de Fribourg. "Ça m'a donné le coup de fouet pour quitter l'Eglise", explique-t-elle. Et de renchérir: "J'ai fait un courrier, la paroisse m'a envoyé une invitation au dialogue [...], mais j'ai dit que je n'avais pas besoin d'un entretien [...] et que ma décision était déjà prise". 

Ces dernières années, d'autres affaires ont été révélées. En novembre 2023, une enquête de l'émission Mise au Point révélait de nombreux cas d'abus sexuels au sein de l'Abbaye de Saint-Maurice, une des plus prestigieuses institutions du monde catholique. Deux mois plus tôt, l'Université de Zurich a publié un rapport accablant sur les abus sexuels. Il recense un peu plus d'un millier de cas depuis les années 1950. 

>> Relire : Mille situations d'abus sexuels documentées dans l'Eglise catholique en Suisse

>> Revoir aussi l'enquête de Mise au Point :

L’abbaye de St-Maurice gangrénée par les abus sexuels. [RTS]
L’abbaye de St-Maurice gangrénée par les abus sexuels / Mise au point / 16 min. / le 19 novembre 2023

Dans les semaines qui ont suivi la publication de ce rapport, les experts ont noté une nette augmentation des demandes de sortie. Par exemple, dans le canton de Vaud, 47 demandes ont été formulées contre 15 à la même période en 2022, selon les chiffres de la Fédération ecclésiastique catholique romaine (FEDEC-VD). 

Une récente augmentation des sorties qui s'inscrit dans un déclin constant de la communauté catholique en Suisse. Depuis 2021, en seulement deux ans, environ 70'000 fidèles ont quitté l'Eglise. Entre 2014 et 2017, on recensait déjà 60'000 sorties. Le rapport du SPI, Institut suisse de sociologie pastorale, rappelle que "le nombre de sorties se maintient à un niveau très élevé et il faut s'attendre à ce qu'il continue d'augmenter" . 

Les positions de l'Eglise sur les minorités

Les positions conservatrices de l'Eglise sur la place de la femme et celle de la communauté LGBTIQ+ sont aussi des facteurs de départ. L'antenne LGBTI Genève de l'Eglise protestante réformée accueille certains de ces catholiques qui décident de rompre avec leur Eglise de manière officielle ou non. C'est le cas de Swan, Genevois âgé de 30 ans, longtemps pratiquant. S'il n'a pas fait de démarche de désaffiliation officielle, il ne se considère plus membre de la communauté catholique.  

"Quand j'ai découvert que je faisais partie de la communauté LGBTIQ+, c'était difficile de rallier cette identité à la religion", car "elle n'est pas acceptée" par la communauté catholique. "C'était donc impensable pour moi de faire encore partie de l'Eglise, donc j'ai dû faire ce choix… et je me suis choisi", explique cet ancien catholique pratiquant.  

Cette antenne, fondée en 2016, accueille des personnes de toute tradition religieuse qui peuvent trouver "un refuge et un espace de sécurité". "Depuis le début, on a eu pas mal de personnes d'origine catholique", explique Adrian Stiefel, fondateur et responsable de l'antenne LGBTI Genève. "Depuis 2022, on a officialisé un partenariat avec la Pastorale des familles de l'Eglise catholique romaine de Genève [...]. On a vraiment développé des liens de confiance et d'amitié avec l'Eglise catholique", poursuit-il. 

Une Eglise forcée de se repenser?  

Sans pour autant donner son accord au mariage homosexuel, le Vatican a annoncé en décembre 2023 qu'il autorisait la bénédiction des couples de même sexe, sous certaines conditions. Une avancée qui a été en partie saluée, mais certaines positions de l'Eglise sont encore jugées conservatrices ou abusives. En janvier dernier, le pape a appelé la communauté internationale à interdire la GPA. Une déclaration qui n'a pas manqué de susciter de vives critiques. 

L'Eglise catholique s'est modernisée dans les années 60 (...) ce qui a entraîné un exode très important de prêtres et des désaffiliations en masse et l'Eglise a pris peur: les responsables (...) sont donc devenus plus conservateurs

Jörg Stolz, sociologue des religions et professeur à l'UNIL

Pourtant, certaines voix entendent bien bousculer l'Eglise dans ses fondements. A la suite de la diffusion du rapport de l'Université de Zurich, le président de la Conférence des évêques suisses Felix Gmür a reconnu dans la presse des erreurs dans le traitement des abus pédophiles et soutenu la création d'un tribunal ecclésial pénal et disciplinaire. Il a assuré vouloir de profondes réformes sociales, comme la fin du célibat des prêtres ou l'avènement des femmes prêtres. Mais ces bouleversements sont difficiles à appliquer pour l'Eglise catholique, une institution mondiale qui couvre une variété de cultures religieuses. 

"L'Eglise catholique fonctionne très bien dans 'le Global South' où les religieux sont bien plus conservateurs. Si l'institution change beaucoup de choses, elle craint des scissions", explique Jörg Stolz, sociologue des religions et professeur à l'Université de Lausanne. D'après lui, une autre raison explique également la réticence de l'Eglise d'aller plus loin dans ses réformes. "L'Eglise catholique s'est modernisée dans les années 60 [...] ce qui a entraîné un exode très important de prêtres et des désaffiliations en masse et l'Eglise a pris peur: les responsables [...] sont donc devenus plus conservateurs". 

Jörg Stolz reconnaît que certaines évolutions sont encore possibles, car "chaque génération est moins religieuse que la précédente". Mais pour l'heure, il est difficile de savoir comment l'institution religieuse va composer avec les évolutions sociétales et les exigences de sa communauté.

Florise Vaubien

*Prénom d'emprunt

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