Tania Séverin: "La prévention des addictions est mal perçue, car elle a des contours un peu flous"
Le nerf de la guerre en matière de réduction des addictions, notamment chez les jeunes, c'est la prévention. Sauf qu'en Suisse, la mise en place de mesures de sensibilisation aux problèmes liés à la surconsommation de telle ou telle substance ou de telle ou telle activité se heurte souvent à des difficultés. Tania Séverin, la nouvelle présidente d'Addiction Suisse, sait de quoi il en retourne.
Pour en parler, elle évoque lundi dans La Matinale de la RTS le dernier fait d'armes d'Addiction Suisse: l’initiative populaire "enfants sans tabac" acceptée dans les urnes il y a deux ans, mais compliquée à mettre en place.
"On attendait assez vite une mise en œuvre stricte pour que la publicité n’atteigne plus du tout les jeunes et les enfants. Or, actuellement, il y a encore des allers-retours entre les Chambres du Parlement avec plusieurs tentatives d’édulcorer cette loi," déplore-t-elle. "On voit que c'est compliqué d'arriver à un consensus. Mais on continue de se battre pour une mise en œuvre respectant la volonté du peuple."
Interdiction pure et dure peu efficace
Tania Séverin ne croit pas en l'efficacité d'une interdiction pure et dure du tabac, comme cela est envisagé en Grande-Bretagne. Une mesure qui serait compliquée, voire impossible, à mettre en oeuvre, selon elle.
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Mais elle continue de croire en l'efficacité de la prévention. Les chiffres parlent d'eux-mêmes. "On sait que plus de la moitié des jeunes commencent à fumer avant 18 ans, et plus de deux tiers des personnes qui fument ont commencé avant 20 ans. Donc, si on commence une prévention très forte vers les plus jeunes, la probabilité que les adultes commencent à fumer vers 25-30 ans est très faible."
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"La prévention, c'est plein de choses en même temps"
Le problème, selon elle, c'est que la prévention est mal perçue car "elle a des contours un peu flous." Parce que la prévention, "c’est plein de choses en même temps", souligne-t-elle.
En Grande-Bretagne, il n’y a plus que 10% des 16 à 25 ans qui fument et moins de 3% des jeunes de 15 ans. En Suisse, on est encore à plus d’un quart des 16-25 ans qui fument et 7-8% des jeunes de 15 ans
Il y a tout d'abord la prévention faite de manière universelle, détaille-t-elle, par exemple via des affiches, à la radio ou à la télévision. "Ça permet de garder ces sujets dans la tête des gens. Mais ce n'est pas ça qui va induire un changement de comportement, ou peu."
Ensuite, il y a la prévention ciblée. "Notamment lorsque l'on va voir les jeunes pour leur dire de faire attention s'ils consomment tel ou tel produit."
Et enfin, il y a la prévention structurelle, qui agit sur les conditions cadres, "pour faire que la décision la plus saine soit la plus facile à prendre." Pour ce faire, on peut agir par exemple sur le prix des produits, leur accessibilité ou les limites d'âge. "Si on fait tout cela de manière cohérente, on sait que cela fonctionne," poursuit-elle.
En observant les mesures fortes déjà prises depuis plusieurs années dans certains pays comme l'Australie et le Royaume-Uni - comme le paquet de cigarettes neutre ou l'interdiction de la publicité -, on réalise que les effets sont là. "En Grande-Bretagne, il n’y a plus que 10% des 16 à 25 ans qui fument, et moins de 3% des jeunes de 15 ans. En Suisse, on est encore à plus d’un quart des 16-25 ans qui fument, et 7-8% des jeunes de 15 ans."
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Quid de l'alcool?
Autre addiction, celle liée à la consommation d'alcool. Un problème trop peu évoqué dans l'espace publique et politique, selon la nouvelle présidente d'Addiction Suisse. Pour elle, c'est une question de culture. "L'alcool est un produit culturellement très répandu dans notre pays. Or, près de la moitié des personnes suivies en institution pour des problèmes d'addictions le sont en raison de l'alcool."
On estime que 4% de la population active a un problème d'alcool, ce qui peut avoir des répercussions par exemple en termes de sécurité au travail
C'est pourquoi Addiction Suisse prévoit régulièrement des actions de sensibilisation sur cette thématique aussi. La prochaine en date est prévue le 23 mai et mettra l'accent sur la consommation d'alcool au travail, "un sujet tabou" insiste Tania Séverin. "On estime que 4% de la population active a un problème d'alcool, ce qui peut avoir des répercussions par exemple en termes de sécurité au travail."
Propos recueillis par Pietro Bugnon
Adaptation pour le web: Fabien Grenon
En matière de prévention, quid des projets de légalisation du cannabis en Suisse?
D'un côté, on cherche à réguler la consommation de certaines substances ou comportements licites. A l'opposé, en Suisse, on tend à une dépénalisation de certaines drogues comme le cannabis qui est encore illicite. Une situation dont certains peinent à comprendre la logique.
Pour Tania Séverin, la nouvelle présidente d'Addiction Suisse, la question est complexe. Selon elle, tout ne doit pas être soit blanc, soit noir. Il faut trouver un juste milieu. "On est peut-être dans la sous-régulation pour des produits licites comme l'alcool, et puis dans la sur-régulation pour des produits actuellement illicites comme le cannabis", estime-t-elle dans La Matinale de la RTS lundi.
Elle n'est donc pas fermée à ce que le cannabis puisse devenir licite. "Mais il faut éviter à tout prix qu'il soit permis d'en faire la publicité. Par exemple qu'il y ait des actions "deux pour un" à la caisse du supermarché", poursuit-elle.
Et rendre licite ce genre de produit peut présenter certains avantages en termes de contrôle, ajoute-t-elle. "Mais il faut que ça soit fait avec un système de concession à but non lucratif, sans que ça devienne un produit commercial sur lequel on fait du bénéfice", insiste-t-elle. "Ce sont des choses qui se font par exemple au Canada et qui semblent fonctionner."