C'était il y a un an presque jour pour jour. Le Tribunal correctionnel de Genève acquittait Tariq Ramadan de viol et de contrainte sexuelle. L'islamologue était soupçonné d'avoir abusé d'une femme, surnommée Brigitte dans les médias, près de quinze ans plus tôt dans un hôtel genevois.
Avant ce procès en appel, le Pôle Enquête de la RTS a relu le jugement de première instance. Près de 70 pages qui détaillent le raisonnement des trois juges qui ont acquitté l'accusé au bénéfice du doute.
>> Relire : Jugé pour viol, l'islamologue Tariq Ramadan a été acquitté à Genève
Voici le passage-clé du jugement: "Au vu de la position antagoniste des parties à la procédure, l'absence d'éléments matériels, la pauvreté et les contradictions des divers témoignages en partie altérés par des éléments externes et par l'écoulement du temps depuis les faits, les constatations des deux médecins psychiatres contradictoires sur des points importants et les messages adressés par la plaignante au prévenu après les faits, le Tribunal n'a pas été en mesure de se forger une intime conviction de culpabilité au-delà de tout doute insurmontable."
Les éléments matériels
Dans son jugement, le Tribunal constate "qu'aucune trace de sperme ou de sang n'a été retrouvée sur les extensions capillaires" fournies par Brigitte et analysées.
Le dossier ne comporte pas d'image de vidéosurveillance ou de photographie. Il ne contient pas non plus de constat de lésions traumatiques ou de certificat médical établis après les faits dénoncés.
Enfin, il n'y a aucun témoin direct des faits, "ce qui est cependant fréquent dans ce type d'affaires".
Les déclarations de Brigitte
Aux yeux du tribunal, les déclarations de la plaignante "sont dans l'ensemble relativement détaillées et constantes, même si elles comportent certaines imprécisions". Mais il est "compréhensible et usuel que les déclarations d'une victime présentent de telles divergences, à défaut desquelles il serait possible de suspecter un récit construit et appris par cœur".
Les juges relèvent toutefois que de nombreux événements se sont produits entre le viol dénoncé (2008) et le dépôt de la plainte (2018). "Dès lors, les éléments déterminants permettant de juger de la culpabilité du prévenu doivent être recherchés parmi ceux proches chronologiquement de l'infraction, afin qu'ils soient le moins possible influencés par l'écoulement du temps et les discussions ultérieures entre la plaignante et les témoins avec lesquels elle a continué d'échanger notamment sur la procédure et les articles de presse."
La crédibilité des témoins entendus
Le Tribunal rappelle que ce ne sont que "des témoins indirects" à qui Brigitte s'est confié après le viol dénoncé. Toutes ces personnes ont été entendues par les enquêteurs dix ans après les faits. "La majorité des témoins qui ont récolté les confidences de la plaignante dans les jours qui ont suivi les faits ne s'en souviennent que mal et sont incapables de rapporter un déroulement précis des faits."
Pour les trois juges, "certains témoins ont interprété les propos de la plaignante comme décrivant un viol, d'autres plutôt comme de la violence physique (...), d'autres interprétant plutôt ces propos comme un simple épisode sexuel s'étant mal passé. Il est ainsi difficile d'en tirer un récit uniforme, notamment quant aux actes sexuels entretenus et au déroulement détaillé des faits."
Les constatations des deux médecins
Selon le tribunal, les deux psychiatres consultés par Brigitte après sa rencontre avec Tariq Ramadan "sont contradictoires entre eux, en particulier dans leurs notes prises lors des consultations, lesquelles sont particuièrement importantes s'agissant de la reconstitution des faits".
Le premier médecin a ainsi noté "rapport sexuel sans consentement / viol", mais il a aussi rapporté un "consentement ébahi" de Brigitte. Le second "n'a quant à lui pas rapporté de description de pénétration ou de viol, mais une emprise perverse et des éléments de violences et de contrainte sexuelle".
La remise du fer à repasser
Brigitte a toujours affirmé qu'au cours de sa rencontre avec Tariq Ramadan dans le lobby de l'hôtel, en 2008, l'islamologue avait demandé au personnel un fer et une planche à repasser. Elle avait ajouté qu'elle avait transporté le fer à repasser dans la chambre.
Dans son jugement, le tribunal relève que "la possibilité que le personnel de l'hôtel amène le fer à repasser et la planche au prévenu dans la salle de repas" n'est pas confirmée par le réceptionniste de l'hôtel à l'époque des faits. "Ce dernier a expliqué qu'une telle demande n'était arrivée qu'une seule fois en dix-huit ans, et de surcroît postérieurement aux faits."
Les messages échangés entre Brigitte et Tariq Ramadan
Lorsqu'elle a porté plainte, en 2018, Brigitte a remis aux enquêteurs de nombreux échanges avec Tariq Ramandan sur les réseaux sociaux. Pour le tribunal, "les messages échangés après les faits ne vont pas dans le sens du récit de la plaignante. En effet, cette dernière n'y évoque jamais de près ou de loin un besoin d'explication sur un viol, sur de la violence, ou un autre reproche plus général quant au déroulement de la nuit (...) Elle lui adresse même des mots d'amour explicites, alors qu'elle dit avoir été sauvagement violée et avoir cru mourir lors de cette nuit".
Selon les juges, l'explication de ces messages donnée par Brigitte et par son médecin, "soit la détresse et le besoin d'explication au vu des violences subies, est possible".
Mais l'explication fournie par Tariq Ramadan est tout aussi crédible, estiment les magistrats. Sa version, c'est "une frustration de la plaignante d'avoir été humiliée et éconduite de manière sèche par une personne mise sur un piédestal, suivie d'une tentative de remédier à cela en reprenant le contact et en insistant sur ses sentiments envers lui".
Pour toutes ces raisons, le tribunal arrive à la conclusion que "d'un point de vue juridique, il n'est pas établi au-delà de tout doute insurmontable que le prévenu aurait contraint la partie plaignante par la violence ou par des pressions psychologiques, à subir des actes sexuels".
La parole est désormais aux juges de deuxième instance.
Fabiano Citroni, Pôle Enquête RTS
Les dates clés
Nuit du 28 au 29 octobre 2008
La plaignante suisse, surnommée Brigitte dans les médias, et Tariq Ramadan passent plusieurs heures ensemble dans un hôtel situé près de la gare de Genève.
13 avril 2018
Alors que Tariq Ramadan, poursuivi pour viols en France, est en détention provisoire dans ce pays, Brigitte porte plainte à son encontre notamment pour viol. Elle évoque des faits survenus dans l'hôtel.
1er décembre 2022
Le Ministère public genevois rend son acte d'accusation et décide de renvoyer Tariq Ramadan en jugement pour viol.
15 mai 2023
Ouverture du procès de Tariq Ramadan.
24 mai 2023
Le Tribunal correctionnel de Genève acquitte Tariq Ramadan au bénéfice du doute.
27 mai 2024
Ouverture du procès en appel.