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Une ONG palestinienne mise à l’index par Berne demande un rectificatif

Une ONG palestinienne mise à l’index par Berne s'estime diffamée par le Conseil fédéral
Une ONG palestinienne mise à l’index par Berne s'estime diffamée par le Conseil fédéral / 19h30 / 2 min. / le 28 mars 2024
A la suite des attaques du Hamas du 7 octobre, le Conseil fédéral avait mis fin à la collaboration avec trois ONG palestiniennes. Or, l’une d’elles avait été notifiée du non-renouvellement de son contrat "pour des raisons budgétaires" avant l’offensive du Hamas. L’organisation demande un rectificatif.

Le 7 octobre 2023, les images de l’assaut sanglant du Hamas sur des localités voisines de la bande de Gaza choquent le monde et la Suisse. A Berne, le Conseil fédéral et l’administration se mettent rapidement en branle. Le 11 octobre, Le Département fédéral des affaires étrangères lance une réévaluation de ses contributions financières aux 29 organisations non gouvernementales israéliennes et palestiniennes que finance la Confédération.

Selon les communications officielles du Conseil fédéral, 11 ONG sont suspendues dans le cadre de cet examen. Huit sont lavées de tout soupçon trois semaines plus tard tandis que "pour trois autres, en revanche, des éléments de non-conformité ont été identifiés, ce qui conduit à la cessation de la collaboration", lit-on fin novembre dans le communiqué du Conseil fédéral.

>> Lire aussi : Les soupçons du DFAE sur onze ONG israéliennes et palestiniennes en grande partie infondés

Le non-renouvellement

Or, des documents obtenus après plusieurs mois de procédures permises par la loi sur la transparence révèlent qu’une de ces ONG avait été notifiée avant l’attaque du Hamas de son non-renouvellement "à cause de contraintes budgétaires importantes et de la nécessité de se concentrer sur certains aspects de notre travail".

Le courrier du DFAE, envoyé le 18 octobre, fait référence à une notification le 2 octobre, 5 jours avant l’assaut du Hamas. "Nous sommes confiants qu’Al-Shabaka est désormais une organisation solide et que cette notification anticipée vous permettra de lever des fonds efficacement", conclut le fonctionnaire fédéral.

La suspension

La fin du partenariat est donc connue de tous lorsque, deux jours plus tard, le DFAE réécrit à l’ONG, un think tank, ou cercle de réflexion politique, basé à New York, pour demander des explications sur le sens d’une publication Instagram, postée au lendemain de l’offensive du Hamas. Le 23 octobre, l’ONG se voit notifier une suspension de son financement "en attendant des clarifications" et, le lendemain, elle clarifie point par point ses propos.

Le Conseil fédéral

C’est là que l’affaire devient publique et politique. Le 1er novembre, le Conseil fédéral annonce les 11 suspensions et donnent les noms des ONG concernées.

Le 22 novembre, le gouvernement affirme avoir mis fin à la collaboration avec trois ONG en raison de la non-conformité au code de conduite du DFAE. Le 1er décembre, le chef de la communication du DFAE précise que le département considère que des déclarations de ces ONG relèvent de "l’apologie de la violence".

L'ONG

Megan Driscoll, co-directrice d’Al-Shabaka, n’en revient pas. L’ONG, un groupe de réflexion politique basé à New York, reçoit un financement suisse depuis 2017. Fin novembre, cela fait presque deux mois qu’elle sait que la collaboration ne sera pas renouvelée, pour des raisons budgétaires, lui a-t-on dit.

Elle ne comprend pas pourquoi son ONG est associée à l’apologie de la violence. "Nous ne savons toujours pas si la publication de telles informations erronées relève de la négligence répétée ou d'une fausse déclaration intentionnelle", répond-elle par écrit aux questions de la RTS.

Ces déclarations sont susceptibles de ternir notre réputation et d'entraver notre capacité à générer le soutien financier nécessaire à la poursuite de nos activités

Megan Driscoll, co-directrice d’Al-Shabaka

Pour son ONG, de telles accusations peuvent avoir un impact considérable. "Ces déclarations sont susceptibles de ternir notre réputation et d'entraver notre capacité à générer le soutien financier nécessaire à la poursuite de nos activités (…) En plus de nuire à notre réputation d'organisation non partisane, ces allégations posent de sérieux problèmes de sécurité pour les membres de notre équipe, en particulier ceux qui sont basés en Palestine".

Megan Driscoll condamne la méthode et exige un rectificatif formel du DFAE. Une demande qui restera lettre morte à Berne.

Le DFAE

Les Affaires étrangères concèdent que la résiliation du contrat avec Al-Shabaka était antérieure à l’assaut du Hamas "mais cette ONG était encore sous contrat jusqu’à février 2024, elle travaillait avec le département, donc on a aussi analysé si sa communication était conforme ou non au code de conduite, explique Nicolas Bideau, chef de la communication du DFAE. La conclusion, c’est qu’effectivement il y avait une non-conformité, ça nous a confortés avec la décision de ne plus travailler avec cette ONG".

Il n’ya pas de double discours, on constate une communication qui ne correspond pas à nos valeurs et on le dit

Nicolas Bideau, chef de la communication du DFAE

Une décision politique appuyée par une décision budgétaire. Mais Nicolas Bideau se défend de toute récupération politique. "Il n’y a pas de double discours, on constate une communication qui ne correspond pas à nos valeurs et on le dit".

Au final, sur les trois ONG mises à l’index, seule une a vu son contrat réellement rompu par le DFAE pour des raisons de non-conformité au code de conduite.

Les deux autres ont été informées qu’en raison "de déclarations parfois ambiguës", la collaboration ne serait pas reconduite, mais honorée jusqu’au terme prévu. Quand bien même, dans le cas d’Al-Shabaka, la nouvelle était connue depuis le 2 octobre.

Michael Maccabez

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