Résumé de l’article

  • Les géants du numérique menacent la démocratie suisse par leur pouvoir économique et politique, selon la Commission fédérale des médias.
  • Les plateformes influencent le débat public via des algorithmes à but commercial, créant une dépendance des médias suisses.
  • La COFEM recommande une stratégie globale de gouvernance numérique, allant au-delà du projet de loi actuel du Conseil fédéral.
  • Les experts proposent d'adapter le cadre juridique, d'améliorer la gouvernance des algorithmes et de renforcer l'éducation numérique.
  • Les plateformes numériques représentent une menace pour la démocratie suisse, selon des experts

    La plateforme X, propriété du milliardaire Elon Musk, semble s'être affranchie des règles du débat impartial en promouvant unilatéralement la candidature de l'extrême-droite allemande. [Keystone/EPA - Christopher Neundorf]
    Les réseaux sociaux nuisent à la démocratie à cause de leur influence, selon une commission fédérale / Le 12h30 / 1 min. / hier à 12:35
    Les géants du numérique disposent d'un pouvoir de marché et d'un pouvoir sur l'opinion qui, combinés, les rendent dangereux pour la démocratie, prévient une commission fédérale. Si la force d'influence des médias n'est pas nouvelle, son intensité actuelle est inédite et insuffisamment discutée dans la sphère publique.

    Les entreprises qui détiennent les réseaux sociaux, les moteurs de recherche ou les services de partage de vidéos disposent d'un pouvoir économique et politique qui leur permet d'influencer la communication au sein de la société, alerte mardi la Commission fédérale des médias (COFEM).

    Elles jouent un rôle important dans le marché de la publicité, ce qui leur donne le pouvoir de fixer les conditions dans lesquelles médias, annonceurs et utilisateurs interagissent entre eux, précise sa présidente Anna Jobin. Ce rapport de forces entraîne une situation de dépendance pour les médias suisses.

    Par ailleurs, les mêmes multinationales conçoivent aussi des logiciels pour les entreprises, les administrations et les institutions de formation, financent la recherche universitaire, soutiennent les entreprises de médias et investissent dans le lobbying politique.

    >> L'interview de Jean-Henri Morin dans Forum :

    Comment la démocratie suisse doit-elle faire face au réseaux sociaux? Interview de Jean-Henri Morin (vidéo)
    Comment la démocratie suisse doit-elle faire face au réseaux sociaux? Interview de Jean-Henri Morin (vidéo) / Forum / 5 min. / hier à 19:00

    Position dominante et perte de liberté

    Les plateformes combinent donc ce pouvoir de marché avec un pouvoir sur l'opinion, ce qui influence le débat public, notamment en matière d'information, relève la chercheuse de l'institut Human-IST à l'Université de Fribourg.

    D'autant plus qu'individuellement, il n'est pas si simple de quitter un réseau social qui ne nous convient pas. "Les utilisateurs et utilisatrices ne sont pas aussi libres qu'on le pense. Vous ne pouvez pas aller tout seul sur une autre plateforme de communication. Vous communiquerez avec qui? Donc je pense qu'il faut vraiment constater qu'elles ont aussi un pouvoir qui est actuellement unilatéralement de leur côté", souligne Anna Jobin dans le 12h30 de la RTS.

    Un très petit nombre d'entreprises étrangères influencent donc la politique, l'administration, la formation, la recherche et la société suisse. Et leur position dominante pose problème, car elles exercent leur influence à travers des algorithmes qui poursuivent un objectif commercial, et non journalistique ou démocratique. Ce pouvoir peut être utilisé à mauvais escient, met en garde la COFEM.

    >> Lire à ce sujet : Asma Mhalla: "Les géants de la tech ont une aversion idéologique assez viscérale pour la démocratie"

    Aller "plus loin" que le Conseil fédéral

    Les médias traditionnels détenaient déjà un tel pouvoir de marché et d'opinion, a complété son vice-président François Besençon, représentant de la faîtière publicitaire Communication Suisse. Toutefois, l'ampleur et l'intensité de ces pouvoirs sont inédites avec les plateformes numériques. Or, ces aspects ne sont guère discutés dans la sphère publique, déplore la commission.

    Les experts recommandent donc de développer une "stratégie globale" en matière de gouvernance numérique qui aille plus loin que le projet de consultation du Conseil fédéral sur une législation en la matière.

    Le gouvernement avait présenté un projet de nouvelle loi en avril 2023, inspirée du "Digital Services Act" de l'Union européenne. La consultation a pris du retard en raison de "questions juridiques plus complexes que prévu". Elle devrait débuter dans les prochaines semaines.

    >> Lire à ce sujet : Le Conseil fédéral veut mieux réglementer les plateformes numériques

    jop avec ats

    Publié Modifié

    Cinq domaines d'action

    La COFEM propose plusieurs pistes pour lutter contre ce phénomène. Premièrement, elle estime qu'il faut adapter le cadre juridique afin de "garantir une concurrence loyale", car les instruments actuels ne permettent pas d'appréhender les spécificités du marché des plateformes.

    La COFEM évoque une meilleure "gouvernance des algorithmes" qui prenne en compte les valeurs démocratiques. Les plateformes doivent mieux assumer leurs responsabilités, en mettant en place des systèmes de recommandation sans profilage, en réalisant des évaluations des risques ou en prenant des mesures de réduction des risques. Des alternatives aux plateformes existantes devraient aussi être favorisées.

    La commission en appelle aussi à davantage de transparence afin de permettre une surveillance sociale des plateformes. L'accès aux données doit être garanti aux milieux de la recherche et à la société civile. Des organes de surveillance indépendants devraient aussi être créés.

    Quant à l'intelligence artificielle, des obligations de transparence et de responsabilité doivent être établies tout au long de la chaîne de création de valeur de ces systèmes. Il est question de prévenir les risques pour les droits fondamentaux et la société, selon la COFEM.

    Enfin, la commission demande d'encourager l'éducation médiatique et numérique, et pas seulement à l'école. Au-delà d'apprendre à se servir des plateformes, il s'agit surtout de comprendre comment elles fonctionnent, notamment en matière d'utilisation des données.

    >> Ecouter aussi à ce sujet l'interview de Christophe Germanier, chef de la stratégie numérique valaisanne, dans le 12h30 :

    Informatique à l'école. [Gaëtan Bally]Gaëtan Bally
    Les écoles valaisannes vont enseigner la ‘‘citoyenneté’’ numérique: interview de Christophe Germanier / Le 12h30 / 4 min. / hier à 12:38