Critiquée par l'UDC, Viola Amherd a-t-elle vraiment été la fossoyeuse de l'armée?

Viola Amherd au WEF de Davos en janvier 2024. [Keystone - Laurent Gillieron]
L'armée de Viola Amherd est-elle vraiment si mal en point? / La Matinale / 5 min. / hier à 07:18
Pour l’UDC, la Suisse ne serait plus capable d’assurer sa sécurité et ce serait en grande partie la faute de la conseillère fédérale en charge de l’armée. Samedi, le parti a demandé la démission de Viola Amherd, qui a annoncé son départ quatre jours plus tard en excluant tout lien avec la démarche du premier parti de Suisse. La RTS s’est demandé quel est le fond de vérité dans les critiques de l’UDC qui ont surtout été analysées comme une attaque politique contre la centriste.

Ces derniers mois, Viola Amherd s'est surtout illustrée pour réclamer des milliards en plus pour l'armée, face à la rigueur budgétaire de la ministre des Finances Karin Keller-Sutter.

En décembre, au terme de longs débats, le Parlement a finalement décidé de dédier 1% du PIB à l'armée d'ici 2032. Viola Amherd s'était battue pour obtenir ce même budget pour 2030. En vain, mais l'armée disposera tout de même de 500 millions de plus dès cette année. Durant son mandat, la Valaisanne a également réussi à commander des nouveaux avions de combat, des F-35, pour six milliards de francs.

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Responsabilités UDC ignorées

En tant que chef du Département de la défense, le conseiller fédéral UDC Ueli Maurer avait, lui, échoué devant le peuple en 2014 avec son projet d'acquisition de Gripen pour une facture deux fois moins élevée. L'UDC ne parle de cette déconvenue ni dans son communiqué au vitriol, ni dans son rapport de 28 pages sur l'état de l'armée.

Même si l'UDC a déjà critiqué ses propres ministres, ce constat amuse les autres partis, à l'image du PS et son conseiller national Pierre-Alain Fridez. "La plupart des grands choix de déshabillage progressif de l'armée peuvent être attribués à des conseillers fédéraux UDC. En polémiquant pour lancer des campagnes, en faisant peur aux gens et en tapant sur une seule personne, l'UDC ne regarde pas tellement dans le rétroviseur", lance le Jurassien dans La Matinale.

L'UDC était effectivement à la manœuvre lors des grands plans d'économies de l'armée. Pour ne citer qu'un exemple: au début des années 2000, son ministre Samuel Schmid avait mené un programme d'austérité, se basant sur la vision sécuritaire de l'époque, qui imaginait une armée plus svelte et adaptée aux nouvelles menaces post Guerre froide.

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Baisse de moyens incontestable

L'UDC souligne à raison que l'armée dispose de moins de moyens. Les chiffres sont indiscutables: par rapport aux années 60, la Suisse compte cinq fois moins d'avions, sept fois moins de chars d'assaut et six fois moins de soldats. Les effectifs et les moyens matériels ont fondu au fil des années et des programmes de réforme Armée 95, Armée XXI et Développement de l'armée.

Cette cure d'amaigrissement se fonde sur une explication historique qui dépasse le cadre de notre pays, relève le conseiller aux Etats PLR Pascal Broulis: "Depuis la chute du Mur de Berlin, on s'est plutôt désengagé, au niveau européen et suisse. Notre armée a diminué ses effectifs et a enregistré une décroissance budgétaire marquée. Quand vous devez recommencer à remonter en puissance, il faut du temps. Je ne pense pas que la conseillère fédérale en charge du dossier soit responsable de tous les maux qu'on lui attribue", analyse le sénateur vaudois.

La vision du conseiller fédéral Samuel Schmid? Une armée moins grande que par le passé, adaptée aux besoins de l'époque. [KEYSTONE - LAURENT GILLIERON]
La vision du conseiller fédéral Samuel Schmid? Une armée moins grande que par le passé, adaptée aux besoins de l'époque. [KEYSTONE - LAURENT GILLIERON]

Fantasme d’une Suisse autonome

En résumé, l'armée a bel et bien dû réduire la voilure. Fruit de décisions démocratiques, ce processus a débuté il y a plusieurs décennies. La guerre en Ukraine a rebattu les cartes et l'armée est appelée à se réformer.

Aux yeux de Pierre-Alain Fridez, il ne faut toutefois pas revenir à "l'armée à grand-papa" esquissée par l'UDC dans son rapport. Pour l'élu socialiste, une Suisse capable d'assurer seule sa sécurité constitue de toute façon un leurre.

"Nous avons peut-être eu ce fantasme lors de la Seconde Guerre mondiale. Mais nous sommes des Lilliputiens. Notre armée est très faible. Nous n'aurons jamais la possibilité de nous défendre seuls", déclare-t-il, rappelant que notre pays est entouré de membres de l'Otan.

Pression de tous les partis

Si l'UDC a été critiquée de toutes parts pour avoir appelé à la démission d'une conseillère fédérale, cela ne signifie pas pour autant que les autres partis soutiennent les yeux fermés la stratégie militaire. Cette semaine, la presse a d'ailleurs mis la main sur une lettre très critique adressée à Viola Amherd à propos de sept projets d'armement et d'informatique susceptibles de virer à la débâcle.

Signé par la délégation des finances du Parlement, le document a retenu toute l'attention de Pascal Broulis. "Certains projets arrivent dans une zone de fragilité, voire de remise en question", note le libéral-radical.

Pour lui, il est important d'obtenir des informations à leur sujet: "La commission de sécurité du Conseil des Etats a pris acte de cette lettre, l'a saluée, et a souhaité des points de situation deux à trois fois par année sur l'avancement des projets au sein de l'armée", indique-t-il.

Cette lettre sonne comme un avertissement pour l'armée. Le Parlement a consenti à des efforts conséquents pour les budgets militaires. Il demande désormais à l'armée de clarifier la manière dont elle va utiliser ses nouveaux milliards et s'assurer qu'ils ne soient pas gaspillés. La pression sera forte sur la personne qui succédera à Viola Amherd.

Sujet radio: Romain Carrupt

Adaptation web: Antoine Michel

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