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Bernard Rappaz: "Je sens que je bascule"

Bernard Rappaz, en mars, sur la vigne à Farinet devant la presse.
Bernard Rappaz, en mars, sur la vigne à Farinet devant la presse.
Les services pénitentiaires valaisans ont octroyé à la TSR une autorisation de rendre visite cet après-midi au chanvrier Bernard Rappaz dans le quartier cellulaire des Hôpitaux universitaires genevois (HUG). Le détenu, très affaibli par sa grève de la faim, se livre. Entretien exclusif.

"Je sens que je bascule. Le matin quand je me réveille, je me vois au-dessus de moi et je mets longtemps avant de redescendre." Nous avons rencontré le militant valaisan durant plus d'une heure cet après-midi. A 57 ans, celui qui joue avec le feu et sa vie pour la 7e fois supporte beaucoup moins bien sa grève de la faim actuelle que toutes les précédentes. Il ne bombe plus le torse, parfaitement conscient que son corps lui échappe.

Son discernement est intact, mais sa vivacité d'esprit faiblit: "Je plane en permanence, c'est mieux qu'un joint", plaisante à moitié le chanvrier. "J'ai mal partout, j'ai des acouphènes, j'ai l'impression que je parle mal. Tout tire, mes os me font souffrir, je n'ai plus de masse musculaire". Il se déplace du reste avec des béquilles de crainte de se casser quelque chose à tout moment.

Pas de recours

Bernard Rappaz passe le plus clair de ses journées assis ou couché sur son lit. Son cadeau quotidien: un bain moussant. Tous les jours, les collaborateurs du quartier carcéral l'engagent à se réalimenter et lui servent son plateau qu'il refuse. "J'irai jusqu'au bout", persiste toujours l'intéressé. Le rejet hier de sa nouvelle demande d'interruption de peine par la conseillère d'Etat valaisanne Esther Waeber-Kalbermatten ne l'ébranle absolument pas. A tel point qu'il affirme ne pas vouloir faire recours au Tribunal cantonal.

Nouveau deal pour la conseillère d'Etat

Jamais à cours de stratégie, le chanvrier dit avoir envoyé hier matin un fax à la cheffe du Département valaisan de la sécurité. Dans ce courrier, il demanderait à la politicienne de suspendre sa peine jusqu'à ce que le Grand Conseil valaisan se détermine sur sa demande de grâce, en principe en novembre. "Si ma demande de grâce est rejetée par les députés, je m'engage à retourner en prison et à purger ma peine sans grève de la faim." Pour lui, cette requête "doit permettre à Mme Esther Waeber-Kalbermatten de sortir de l'engrenage dans lequel elle s'est installée". Il aimerait du reste beaucoup qu'elle vienne lui rendre visite en prison.

"Ils ne me laisseront pas mourir"

"Je sais bien que je n'en ai plus pour longtemps. J'ai passé de 95 kilos à 69. Je suis en hypoglicémie avancée, ma pression chute et j'en passe", poursuit Bernard Rappaz. Il vient de signer de nouvelles directives anticipées dans lesquelles il refuse catégoriquement d'être réanimé et d'être nourri de force.

Si le Valaisan se dit plus déterminé que jamais dans la poursuite de son combat, il se montre très contradictoire: "Je ne veux pas mourir, j'aime la vie." Plus loin dans la discussion: "De toute façon, ils (le gouvernement valaisan, ndlr.) ne m'ont jamais laissé mourir. J'ai confiance en eux, j'ai confiance dans le gouvernement valaisan."

Et si Esther Waeber-Kalbermatten campe sur ses positions? "Je prends le risque de partir."  Mais il lui reste toujours un peu de mordant pour la provocation: "Avec l'histoire de Bochuz, ils ne peuvent pas se permettre".

Evelyne Emeri

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Entretien sous condition

Les services pénitentiaires ont accordé cet entretien avec Bernard Rappaz en posant certaines conditions à la journaliste de la TSR.

Impossible ainsi d'entrer dans le quartier carcéral des Hôpitaux universitaires genevois (HUG) avec une caméra ou d'enregistrer le détenu avec un moyen audio. Pas même la possibilité de disposer d'une feuille et d'un stylo.