Avec la mort de Nicolas Hayek, qui était né en 1928 à Beyrouth, la Suisse perd une figure emblématique de son industrie.
L'homme, célèbre pour ses cigares et ses multiples montres portées simultanément, incarnait loin à la ronde un esprit entrepreneurial empreint de créativité et de paternalisme. L'entrepreneur d'origine libano-américaine était considéré comme l'artisan du redressement il y a trente ans de l'industrie horlogère, avec notamment le lancement de la montre plastique Swatch.
C'est lui qui prit en 1985 la majorité de la Société suisse de micro-électronique et d'horlogerie (SMH), l'ancêtre de Swatch Group. Nicolas Hayek a fait de ce groupe, qui compte une vingtaine de marques, une multinationale générant un chiffre d'affaires annuel de plus de cinq milliards de francs avec plus de 24'000 employés.
"Il a sauvé l'industrie horlogère suisse"
"De par son engagement et ses courageuses interventions, Nicolas Hayek a donné durant des décennies de grandes et importantes impulsions à l'ensemble de l'entrepreneuriat et de l'économie suisses", a déclaré peu après l'annonce de son décès la présidente de la Confédération Doris Leuthard. "Nous lui devons beaucoup", a ajouté la ministre de l'Economie.
Avec le décès de Nicolas Hayek, c'est une personnalité hors du commun qui disparaît, a de son côté réagi Jean-Daniel Pasche, le président de la Fédération de l'industrie horlogère suisse. Pour lui, Nicolas Hayek a été visionnaire à tous les niveaux. "C'est un véritable choc. La surprise est d'autant plus grande qu'il était encore très actif", a ajouté Jean-Daniel Pasche.
"Je ne pensais pas que Nicolas Hayek allait mourir un jour, il était tellement actif", a déclaré le maire de Bienne Hans Stöckli. "La ville de Bienne, l'Arc Jurassien et la Suisse lui doivent énormément". "Il y a trente ans, on voulait vendre l'immeuble Omega à Bienne au Japon", rappelle Hans Stöckli. Nicolas Hayek restera le seul et unique citoyen d'honneur de la cité bilingue.
"Il a sauvé l'industrie horlogère suisse, grâce à lui, Swatch Group est devenu le numéro un mondial de la branche." "Sa disparition laisse un immense vide." Le président de Swatch Group a cependant bien préparé sa succession durant ces dernières années, estime le maire de Bienne. "Je n'ai aucune crainte pour l'avenir", assure encore Hans Stöckli.
De son côté, le patron des montres Hublot Jean-Claude Biver estime que la disparition de Nicolas Hayek "laissera un vide incroyable" au sein de l'industrie horlogère helvétique. "La Suisse perd avec le président de Swatch Group un entrepreneur exceptionnel et un visionnaire".
Le Conseil d'Etat neuchâtelois a lui fait part de sa "grande tristesse" après avoir appris la nouvelle. Le gouvernement a rappelé l'engagement de l'entrepreneur en faveur de l'économie, de la recherche et de la formation dans l'Arc jurassien. Dans un communiqué diffusé lundi soir, le gouvernement neuchâtelois relève que Nicolas Hayek était l'"un des très grands noms du monde horloger suisse".
Ce "visionnaire (...) a su comprendre avant l'heure les développements et le potentiel de l'horlogerie". En 1996, Nicolas Hayek avait reçu le titre de Docteur honoris causa en économie de l'Université de Neuchâtel.
Nicolas Hayek était fier de la place industrielle suisse et a toujours cru en son avenir, même quand d'autres la croyaient moribonde, souligne Jean-Claude Rennwald, membre de la direction d'Unia et responsable de l'horlogerie. Il a beaucoup investi sur sol helvétique, et en particulier dans l'Arc Jurassien.
"Je l'avais rencontré il y a cinq ou six semaines et on ne pouvait se douter de rien, il était en très bonne forme, il avait beaucoup d'idées", a raconté Jean-Claude Rennwald. L'entrepreneur était assez ouvert aux revendications des travailleurs. "Avec toutefois un petit côté paternaliste, voire autoritaire", note le syndicaliste. "Même s'il était au sommet, aucun détail du fonctionnement de son groupe ne lui échappait."
Le décès de Nicolas Hayek est certes une grosse perte pour le monde horloger. Mais comme il ne laissait rien au hasard, il a dû préparer solidement l'avenir de son entreprise, estime le syndicaliste.
Dans un entretien accordé il y a une année au magazine français "L'Express", Nicolas Hayek disait: "Rien n'est impossible, sauf d'éviter la mort... et les impôts".
ats/mej
Un entrepreneur jamais à court d'idées et toujours consulté
Considéré comme le sauveur de l'industrie horlogère suisse dans les années 1980, Nicolas Hayek symbolise l'entrepreneur audacieux, jamais à court d'idées. Ce pourfendeur du pessimisme détonnait avec son franc-parler dans un monde financier avare de coups d'éclat.
En 2003, Nicolas Hayek avait remis la direction générale de Swatch Group, le numéro un mondial de l'horlogerie, à son fils Nick. L'homme au cigare restait cependant toujours bien présent, installé dans le fauteuil de président du conseil d'administration. Acteur incontournable de la scène médiatique comme économique, cet immigré libanais devenu milliardaire n'a jamais manifesté l'envie de quitter véritablement les affaires.
Il paraissait peu probable que les décisions se prennent sans son assentiment. L'ancien patron du Swatch Group aimait à se définir comme une sorte d'entrepreneur-artiste. Il estimait qu'un patron devait conserver la fantaisie de son enfance. Décoré de la Légion d'honneur et fait citoyen d'honneur de Bienne, Nicolas Hayek semblait prendre autant de plaisir à être parmi les grands de ce monde qu'à s'émerveiller devant le travail d'un horloger.
Né à Beyrouth en 1928, émigré en France en 1940, puis en Suisse en 1949, l'homme qui obtiendra la nationalité suisse dirigera dès les années 50 des sociétés. C'est en 1985 qu'il prendra le contrôle de la Société suisse de micro-électronique et d'horlogerie, ancêtre du Swatch Group qui comprend de nombreuses marques comme Swatch, Omega, Tissot, Longines et Breguet.
Nicolas Hayek laisse le souvenir de ses célèbres coups de gueule contre la politique de la Banque nationale suisse (BNS), sous l'ère de son président Markus Lusser jusqu'au milieu des années 1990. Il reprochait avec vigueur à l'institut d'émission de pratiquer une politique du franc fort défavorable à l'industrie d'exportation.
L'entrepreneur s'en prenait aussi périodiquement aux excès de la Bourse, se fâchant contre des marchés financiers qui ne savaient pas à ses yeux reconnaître la juste valeur les groupes industriels.
L'homme de Swatch Group, célèbre pour ses multiples montres aux poignets, s'était illustré dans d'autres domaines que l'horlogerie. Rêvant d'une voiture propre, il lance l'idée dans les années 90 de la Swatchmobile, qui ne verra finalement pas le jour. Il donnera ensuite naissance à la Smart, modèle au succès très mitigé de DaimlerChrysler. Il avait également dressé le rapport de faisabilité du projet d'exposition nationale Expo.01, devenu finalement Expo.02.
Ses engagements menés avec passion ont rejailli sur son activité dans l'horlogerie. Nicolas Hayek a ainsi amené la notion d'émotion pour positionner les montres de Swatch Group dans le monde du luxe. Une passion qu'il aura su transmettre à son fils Nick, qui apparaît comme un digne successeur de par son discours et ses attitudes.