Un rapport de 74 pages publié mercredi par la Délégation des commissions de gestion des Chambres fédérales, passe à la loupe le travail des services de renseignements de la Confédération, à savoir le Service d'analyse et de prévention.
Ce document montre que le fichage de deux députés d'origine kurde au Grand Conseil de Bâle-Ville n'est que la pointe de l'iceberg. Révélée en 2008, cette affaire est à l'origine de l'enquête approfondie de la délégation.
Informations fausses ou pas pertinentes
Les commissions de gestion font état d'une masse importante d'informations souvent pas pertinentes, voire même fausses concernant 120'000 personnes et 80'000 tiers, censés mettre en danger la sécurité de l'Etat. Des données qui n'ont manifestement pas été triées durant des années, qui ont été conservées trop longtemps et qui n'ont pas été contrôlées comme elles auraient dû l'être.
Selon la délégation, le Service d'analyse et de prévention "n'a en aucune manière satisfait aux exigences légales en matière d'assurance de qualité" et ce depuis des années. Depuis 2004 au moins, les retards, les manques et les désordres marquent les activités de ce service.
Malgré le scandale des fiches, il n'y a pas eu de changement de mentalité au sein des services de renseignements suisses, a déploré le président de la délégation, Claude Janiak (PS/BL). La délégation s'est toutefois bien gardée de parler d'une "affaire des fiches 2" et de réclamer des têtes.
La sûreté de l'Etat en danger
Aujourd'hui, selon la délégation, l'état des données du système est tel qu'il "remet aussi fondamentalement en cause l'efficacité de la protection de l'Etat". Les données fausses ou inutiles peuvent avoir pour effet "des actions inappropriées ou des pannes qui mettent en fin de compte la sûreté de l'Etat en danger".
Toujours d'après les conclusions de la délégation, la saisie de données inutiles, erronées ou périmées a pris un temps considérable et a détourné à son profit le temps qui aurait dû être consacré au contrôle de la qualité des renseignements. D'ailleurs, les collaborateurs chargés de l'appréciation des données livrées au système ne se préoccupaient pas de leur pertinence et de leur exactitude.
Pour Eveline Widmer-Schlumpf, cheffe du DFJP, il n'est pas question que le Conseil fédéral prenne position sur ce rapport d'ici octobre prochain. Des améliorations ont déjà été apportées au contrôle des données contenues dans le système d'information relatif à la protection de l'Etat, a précisé la ministre devant la presse.
agences/boi
20 ans après le scandale des fiches
Le scandale des fiches avait secoué la Suisse il y a vingt ans.
Le monde politique et l'opinion publique étaient alors d'accord sur un point: les services secrets ne devraient plus jamais pouvoir collecter de données de manière incontrôlée.
Durant la Guerre froide, la Police fédérale et le Ministère public de la Confédération avaient fait établir, en collaboration avec les polices cantonales, environ 900'000 fiches, surtout sur des personnes et organisations proches de la gauche. Ceci en l'absence de toute base légale.
Le scandale avait été découvert par la commission d'enquête parlementaire CEP-DFJP, alors présidée par l'actuel conseiller fédéral Moritz Leuenberger.
Elle avait été instituée après la démission d'Elisabeth Kopp du gouvernement. Outre l'affaire Kopp, elle était aussi chargée d'enquêter sur les activités de récolte de données par les services secrets.
Le scandale des fiches avait débouché en 1990 sur la création d'une CEP-DMF (Département militaire fédéral, selon son appellation de l'époque), qui avait mis au jour l'armée secrète P 26 et le service secret de renseignement P 27.
Ces scandales avaient fortement ébranlé l'opinion publique.
Les fiches ont été remplacées en 1994 par le système d'information ISIS. La collecte de données a alors été soumise à des règles plus strictes. Une assurance qualité vérifie ainsi l'usage correct des informations recueillies.