La ministre de l'Economie a conduit ce voyage marathon à un rythme effréné. Dans les fournaises de Chongqing, Shanghai et Pékin, sa délégation a couru de rencontres en tables rondes, de cérémonies en visites d'entreprises, avec un agenda sans cesse modifié jusqu'au protocole d'entente programmé en dernière minute vendredi.
Car toute la semaine tendait vers cet enjeu ultime : le feu vert pour lancer les négociations en vue d'un accord de libre-échange. "Un beau cadeau", a dit Doris Leuthard, eu égard à l'anniversaire des 60 ans de relations entre les deux pays. La présidente souligne qu'il s'agit d'un travail collectif. "Mon équipe fait un travail excellent, c'est un grand soutien", a-t-elle expliqué.
Même si les négociations prendront du temps, la Suisse se place dans le peloton de tête en entamant la dernière ligne droite dès janvier. Les affaires avec l'Empire du Milieu vont déjà bon train, mais le libre-échange les stimulerait encore davantage, juge Doris Leuthard. "Certes, cela implique aussi de la concurrence, mais un meilleur accès aux marchés est dans l'intérêt des deux parties."
Intérêts nombreux
Du côté de l'Union européenne, les discussions sont freinées par des intérêts fortement divergents. Négocier individuellement, et comme petit pays, est un avantage. Selon des fonctionnaires fédéraux sur place, la Suisse peut même servir de test : la Chine pourra observer, sans gros risques, l'impact de l'ouverture du marché avec un pays du Vieux Continent.
La taille de la délégation qui accompagnait Doris Leuthard témoigne du nombre de secteurs intéressés par la Chine : une trentaine de représentants de la construction, des machines, de l'industrie pharmaceutique ou encore du textile. La plupart relèvent la bonne marche des échanges avec l'Empire du Milieu mais déplorent toujours des barrières, à l'image de l'horlogerie.
"Nous ne venons pas seulement nous plaindre, nous sommes contents de la croissance des exportations et voulons la poursuivre", note Jean-Daniel Pasche, président de la Fédération de l'industrie horlogère suisse (FH). Mais aux tarifs douaniers et à la TVA s'ajoute la taxe de 20% sur l'importation de produits haut de gamme, qui pénalise de facto l'horlogerie suisse. Les fabricants, qui ont dû baisser leurs marges, veulent que l'accord supprime ou réduise la taxe.
Technologie helvétique
Côté chinois, les responsables locaux des trois villes visitées ont aussi souhaité promouvoir les échanges. En particulier Chongqing, dont l'expansion rapide réclame des hautes technologies dans la construction, l'énergie ou les transports. Les entreprises suisses possèdent ces compétences dont la Chine a besoin, a souvent vanté Doris Leuthard.
Pas de chance : à l'Expo universelle de Shanghai, elle n'a pas pu tester le télésiège du pavillon helvétique à cause d'un couac technique. Pas de quoi entamer la sérénité de la présidente de la Confédération. En toutes circonstances, elle a affiché avec ses divers interlocuteurs un style à la fois direct et chaleureux, agrémenté de touches d'humour, ont commenté des participants.
Le poids de l'agenda a dissipé parfois l'attention des hommes d'affaires : on a pu observer des paupières lourdes en rencontre officielle, ou entendre crépiter bruyamment des emballages de friandises offertes lors d'une présentation de société. Doris Leuthard a pour sa part gardé un dynamisme intact de la première à la dernière heure. Point de repos en vue : elle dirige mercredi la première séance du Conseil fédéral après la pause estivale, alors que deux collègues ont annoncé leur retrait.
L'industrie suisse fait peur à la Chine
Alors que la Suisse vient d'obtenir le feu vert de la Chine pour ouvrir les négociations sur un accord de libre-échange, le chef du SECO, Jean-Daniel Gerber, avertit que les discussions seront "longues et difficiles".
"Les Chinois trouvent l'industrie d'exportation helvétique trop compétitive à leur goût, en particulier dans l'industrie des machines, l'horlogerie et la pharmacie", a expliqué le chef du Secrétariat d'Etat à l'économie (SECO), dans une interview publiée dans "Sonntag".
"La Suisse est l'un des rares pays industriels dont les exportations vers la Chine dépassent les importations" en provenance de ce pays, a encore souligné Jean-Daniel Gerber.
Samedi, lors du voyage de la présidente de la Confédération Doris Leuthard en Chine, un protocole d'entente a été signé entre les deux pays. La Suisse et la Chine se sont engagées à lancer des négociations en vue d'un accord de libre-échange, sur la base d'une étude conjointe de faisabilité conclue plus tôt que prévu.
A partir du lancement des négociations, soit après le passage du dossier au Parlement, la conclusion de l'accord pourrait intervenir au mieux dans un délai d'un an et sinon après deux ou trois ans.