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L'apprentissage s'ouvre aux jeunes sans-papiers

Ici la fête des métiers, à Zurich, en novembre 2009.
Ici la fête des métiers, à Zurich, en novembre 2009.
A l'avenir, les jeunes sans-papiers devraient pouvoir suivre un apprentissage en Suisse. Le Conseil des Etats a adopté mardi une motion du National donnant mandat au gouvernement de modifier la loi en ce sens. Le Parlement met fin à une inégalité de traitement avec les sans-papiers autorisés à suivre des études.

La motion de Luc Barthassat (PDC/GE) charge le Conseil fédéral de mettre en oeuvre un mode d'accès à l'apprentissage pour les jeunes sans statut légal une fois leur scolarité terminée. Le National l'avait adoptée de justesse (93 à 85 et 8 abstentions) alors que la Commission des institutions du Conseil des Etats l'a soutenue dans un premier temps à une voix près, inversant sa position après que le plénum lui a renvoyé l'objet en juin.

La fin d'une hypocrisie

Les jeunes ne sont pas responsables du statut de leurs parents. Le camp rose-vert auquel se sont joints quelques sénateurs PDC et PLR, plutôt latins, veut mettre fin à une certaine hypocrisie et à l'injustice qui consiste à autoriser les jeunes en situation illégale à poursuivre des études via le gymnase alors qu'ils n'ont pas le droit de suivre un apprentissage.

Les socialistes Claude Hêche (JU) et Alain Berset (FR) ont rappelé les débats des années 80 quand, s'agissant de l'école, on l'a rendue obligatoire également pour les sans-papiers. Les jeunes ne comprendraient pas qu'un couperet tombe à la fin de leur formation initiale, a dit Alain Berset. C'est se mettre un autogoal que de refuser l'apprentissage à des jeunes intégrés.

Offrir une occasion de se former

Le risque est grand de les voir commencer de commettre de petits délits s'ils restent oisifs à la maison, a plaidé Claude Hêche pour qui cette ouverture constitue "un excellent programme d'intégration, le moins coûteux". "Alors qu'on cherche souvent ici des solutions au problème de délinquance, nous avons l'occasion d'y répondre en partie en leur donnant l'occasion de se former", a renchéri Luc Recordon (Verts/VD).

Avec cette nouvelle attractivité, plusieurs orateurs UDC ont craint qu'on ouvre grand les portes de l'immigration clandestine. S'alignant sur les considérations du Conseil fédéral, ils préfèrent largement une solution individuelle, pour les cas d'une extrême gravité, possible dans le cadre des dispositions légales en vigueur.

L'UDC et son scénario-catastrophe

Liliane Maury-Pasquier (PS/GE) a fustigé certains orateurs UDC qui ont agité des scénarios-catastrophe n'ayant aucune chance de se réaliser. Il faut éviter toute "prime à l'illégalité". Si besoin est, les dossiers doivent être traités individuellement, via la réglementation sur les cas de rigueur. On trouve alors une solution définitive.

Si la Chambre des cantons a donné suite de justesse à cette motion, elle a en revanche rejeté par 22 voix contre 21 l'initiative cantonale de Neuchâtel allant dans le même sens mais un peu plus rigide et qui aurait impliqué que le Parlement et non le Conseil fédéral légifère.

Une autre motion, d'Antonio Hodgers (Verts/GE), n'a pas eu plus de succès. Rejetée par 22 voix contre 16, elle allait encore un peu plus loin en exigeant en plus que les jeunes clandestins bénéficient d'une reconnaissance formelle à la naissance. Le National avait adopté les motions alors que la polémique battait son plein dans le canton de Vaud. La Municipalité de Lausanne avait notamment annoncé qu'elle engagerait de jeunes apprentis sans-papiers.

ats/mej

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Entre 200 et 400 jeunes par année

Chaque année, 200 à 400 jeunes sans-papiers désirent commencer un apprentissage en Suisse. Ces chiffres, issus d'une estimation, représentent 0,25 à 0,5% des 80'000 contrats d'apprentissage conclus chaque année, selon les indications de l'Union des villes suisses.

Entre 300 et 500 jeunes sans-papiers finissent l'école obligatoire chaque année. Rien ne les empêche d'entamer alors des études, contrairement à la voie de l'apprentissage, qui leur est fermée.

D'où une inégalité de traitement, relève l'Union des villes suisses. Et celle-ci de citer une estimation conservatrice de l'Institut de recherche gfs.berne qui aboutit au chiffre de 10'000 jeunes vivant en Suisse, en 2004, sans titre de séjour.

Leur nombre exact n'est pas connu car, pour autant que cela soit possible, ces personnes évitent tout contact avec les autorités.

Résidant avant tout dans les villes et les agglomérations, les jeunes sans-papiers ont souvent des parents actifs sur le marché du travail et économiquement autonomes. Mais la peur d'être arrêté ou découvert conduit la majorité d'entre eux à mener une vie sans tapage, écrit l'Union des villes suisses dans un rapport publié sur son site Internet.

A noter encore que ces estimations se basent sur des avis d'experts et ne reposent pas sur des analyses scientifiques, précise l'Union des villes. Gfs.berne indique en outre dans son étude que les chiffres varient considérablement d'une année à l'autre, suivant la situation internationale, économique ou les décisions de politique étrangère.

Les patrons sceptiques

Les syndicats et l'organisation nationale de soutien aux sans-papiers ont fait part de leur satisfaction. "Pour ces nombreux jeunes qui ne sont pas responsables de leur absence de statut, c'est enfin une perspectives d'avenir qui s'ouvre".

Les patrons, quant à eux, ne voient pas la chose d'un bon oeil.

"A nos yeux, engager des apprentis sans-papiers n'est pas une bonne chose", a indiqué le directeur de l'Association suisse des arts et métiers, Hans-Ulrich Bigler.

Quand une entreprise signe un contrat avec les parents de l'apprenti, ce dernier étant mineur, elle se retrouve dans une zone de non-droit. En cas de rupture de contrat, les problèmes sont inévitables."

Le directeur de l'Union patronale suisse, Thomas Daum, sans vouloir prendre position sur la décision, a toutefois souligné que l'avenir de ces jeunes restait encore incertain: "après leur apprentissage, ils n'auront pas accès au marché du travail".