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Mineur, un métier de l'ombre synonyme de passion

Florencio Antonio Avalos Silva (au centre), 31 ans, est le premier mineur à avoir réapparu à la surface de la terre, après 68 jours passés au fond de la mine de San Jose.
"La vie sous terre, c'est quelque chose de très particulier, de très différent par rapport aux autres métiers", explique Olivier Schinz, évoquant la vie des mineurs qui viennent d'être sauvés au Chili et celle des ouvriers du Gothard.
Les mineurs, qui sortent rarement de l’ombre, sont devenus des stars au Chili après leur sauvetage sans précédent. Hasard du calendrier, le percement du Gothard sera finalisé demain. Deux chantiers aux antipodes, mais un métier commun, qui s’exerce loin des regards. Coup de projecteur sur cette profession avec Olivier Schinz, anthropologue et muséologue ayant travaillé sur les mines d’asphalte du Val-de-Travers.

tsrinfo.ch: Comment devient-on mineur?

Olivier Schinz: souvent, on est mineur de père en fils. En fait, on ne devient pas mineur, on naît mineur. Parfois, certains mineurs ne naissent pas dans ce milieu, mais c’est rare. Et quand on arrive dans ce métier sans y être né, ça devient rapidement une passion et on n’arrive plus à en sortir.

La passion va donc de pair avec ce métier?

Olivier Schinz [Alain Germond]
Olivier Schinz [Alain Germond]

Oui. Les mineurs sont fiers de leur métier parce que c'est un métier difficile, un métier que peu de personnes font. La terre est un environnement fantastique, et ça crée un lien particulier avec le métier.

Par exemple, les mineurs du Val-de-Travers, quand ils partaient en vacances, ils allaient souvent visiter d'autres mines.

C’est une fascination qui prend tout, jusqu'aux loisirs. Les mineurs développent un sentiment d'appartenance très fort.

Ce qui est frappant au Chili, c’est
l’humilité des travailleurs. J’ai lu cette phrase dans la presse: "nous
ne sommes que des mineurs". Tout est dit là dedans. Ce qu'ils viennent de
vivre ne les transforme pas en héros. C’est la vie, c’est ça le métier de mineur:
nous n’avons fait que notre métier. Demain, on y retourne!

Quelles sont les motivations des mineurs? Le salaire?

Les métiers sont très hiérarchisés au sein de la mine. Pour les chefs de chantier et les tunneliers, la paie est très bonne. Quand on se situe plus bas dans la hiérarchie, les salaires sont moins élevés mais restent intéressants. Au Gothard, les mineurs sont pour la plupart des
migrants. Et la paie est bonne. Au Chili, les mineurs disent vouloir repartir à la mine notamment parce que leur
salaire est très bon et parce qu'ils aiment ça.

Avec l’éloignement familial, les
mineurs, qui viennent de différents pays pour ce qui est du tunnel du Gothard
ou de différentes régions du Chili pour qui est de San José, créent-ils avec
leurs collègues une nouvelle famille?

Sainte-Barbe [REUTERS - � Arnd Wiegmann / Reuters]
Sainte-Barbe [REUTERS - � Arnd Wiegmann / Reuters]

C’est une communauté qui se crée de fait, très solidaire, avec des pratiques, des discours, des pensées et des croyances communes. Les mineurs partagent beaucoup de choses, et fêtent ensemble notamment Sainte-Barbe (lire
encadré
), leur patronne, le 4 décembre.

Comment se passe la vie quand on travaille dans un lieu aussi confiné?

Parfois, il arrive que les ouvriers s’engueulent, c’est vrai. Mais même si le métier est très hiérarchisé, il y a une immense solidarité entre eux. Cela s’explique par le fait qu'ils travaillent dans un environnement dur, dangereux. Face à l’adversité, ils développent un sens aigu de la solidarité. Surtout parce qu'ils sont à la merci des éléments de la nature qui sont imprévisibles. Dans le cas de la mine de San
José, au Chili, la preuve de ce sentiment de solidarité, c’est que malgré la
hiérarchie, c’est le chef qui a été le dernier à remonter. (Note à ce sujet:
les mineurs chiliens ont fait part de leur crainte de ne pas rester unis après
leur sauvetage, lire ci-contre).

Face à la nature imprévisible de la terre, les mineurs ont-ils un rapport particulier à la mort?

Oui, ils ont une conscience permanente du danger. Ce qui implique le développement de pratiques spécifiques liées principalement à la sécurité. Ce qui me fascine, c’est à quel point l’ouvrier est attaché à ses outils. Ses outils lui permettent de sentir le danger quand il creuse, perce, travaille la terre, selon comment la roche réagit. Raison pour laquelle les mineurs sont souvent réfractaires aux changements techniques: ils doivent alors réapprendre à sentir le danger à travers leurs nouveaux outils.

Quand un chantier se termine, les ouvriers ont-ils le blues?

C’est peut-être la gueule de bois après la fête, mais les ouvriers n’ont pas le temps d’avoir le blues parce qu'ils repartent directement sur un nouveau chantier. Le mineur n’a pas de répit. Après deux ou trois semaines de vacances, il s’en va creuser des trous ailleurs. Ce qui est fascinant, c’est cette migration autour du monde mais dans les entrailles de la terre. Dans le cas du Chili, il faut
relever que les mineurs sont souvent destinés à passer leur vie dans la même
mine, alors que les mineurs du Gothard partiront ailleurs une fois le chantier
terminé.

C’est donc une passion de la terre, où que l'on se trouve?

Oui. Les mineurs ont un rapport particulier au matériau qu'ils travaillent. Les écouter en parler, c'est tout un poème. Ils ont une connaissance merveilleuse de la terre qui est fascinante. La vie sous terre, c'est quelque chose de très particulier, de très différent par rapport aux autres métiers. Les mineurs peuvent parler des roches comme ils parleraient des femmes qu'ils ont pu conquérir. Il y a un rapport charnel et intime avec la roche. Et demander à un mineur de quitter son métier, c’est impossible.

Propos recueillis par Nathalie Hof

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Une seule crainte, ne pas rester unis, preuve d'une immense solidarité

Preuve magnifique de l'esprit de solidarité et de famille qui se développe dans le métier de mineur, la crainte des "33": lorsqu'ils étaient encore bloqués au fond de leur mine chilienne, les 33 mineurs n'avaient qu'une inquiétude alors que les opérations de secours touchaient au but: que leur groupe ne se disloque une fois à la surface, car ils viennent de plusieurs parties du pays.

"Leur grande préoccupation est de rester unis, alors qu'ils viennent de zones distinctes du Chili. Ils veulent rester unis après le sauvetage", a expliqué la semaine dernière Alejandro Pino, responsable de l'Association chilienne de sécurité, un des acteurs des opérations, qui communiquait quotidiennement avec les mineurs.

"Je crois qu'un groupe important s'est constitué, ils ont appris à gérer leurs différences" au fil de l'épreuve sous terre, a expliqué Alejandro Pino à la presse. "Ils s'appellent eux-même 'les 33'".

Au-delà d'une longue incapacité de travail, leur avenir est un point d'interrogation, la mine San José étant vouée à ne pas rouvrir. Le gouvernement a dit travailler au reclassement des mineurs du groupe.

La seule proposition de travail concrète qu'ils ont reçue jusqu'à présent est celle de travailler dans une des mines de Farkas dans la région de Copiapo, où se trouve le site de San José. (afp)

Sainte-Barbe, patronne des mineurs

Les mineurs font un métier difficile, et sont tributaires des aléas de la nature. Pour faire face à cette adversité de tous les instants, à ce danger permanent, ils ont une patronne qui les protège, Sainte-Barbe.

Elle est fêtée chaque année à travers le monde le 4 décembre. Ce jour-là, les mineurs à travers le monde ne travaillent pas. Ils lui font des offrandes. Une Sainte-Barbe trône toujours à l’entrée des mines, des tunnels. Les ouvriers se signent à chaque fois qu'ils passent devant elle en descendant sous terre.

L’attachement des mineurs à Sainte-Barbe s’explique notamment par le fait, selon Olivier Schinz, que les mineurs travaillent dans un environnement difficile. "Quand on ne maîtrise pas le danger, on cherche à croire en quelque chose qui nous protège. Quand on s’en remet à la nature, il faut qu'il y ait une force supérieure pour nous protéger", explique ce muséologue ayant travaillé sur les mines d’asphalte du Val-de-Travers.

Il y a aussi une composante sociale dans le culte voué à Sainte-Barbe, en Suisse notamment: les mineurs, à l'époque, venaient souvent de pays catholiques comme l’Italie. Ils ont apporté avec eux leurs rites, et Sainte-Barbe, la patronne des mineurs, architectes, géologues, artificiers et pompiers.