De nombreux points suscitent encore de vives critiques, à tel point que plusieurs ordonnances sont encore en cours de modification. Le projet avait pourtant fait l'objet de l'accord de principe à la fois des agriculteurs, des pêcheurs, des milieux de protection de la nature et des producteurs d'énergie hydroélectrique, tous largement consultés lors de son élaboration.
Issue d'un contre-projet indirect à l'initiative "Eaux-vivantes" des pêcheurs et largement inspirée de la législation genevoise en la matière, cette modification vise à la fois à mieux protéger la population contre les risques de crues et à permettre aux cours d'eau du pays - massivement bétonnés au début du siècle dernier - de retrouver un cours plus naturel.
Levée de bouclier du monde paysan
Parmi les principaux concernés, les agriculteurs voient d'un mauvais oeil les pertes de terres cultivables aux abords des cours et des plans d'eau. L'Union Suisse des Paysans (USP) conteste aussi et surtout un calcul inexact selon elle de la compensation des zones tampons destinées à permettre aux rivières de retrouver un cours plus naturel, ou à des projets de revitalisation.
Pour Jacques Bourgeois, directeur de l'USP et conseiller national (PLR/FR), l'estimation de 2000 hectares définitivement perdus aux abords des rivières du pays et de 20'000 hectares qui devront passer d'un mode de culture intensive à extensive (sans engrais ni pesticides) est largement en dessous de la réalité.
Le conseiller national fribourgeois, qui aime à rappeler que "le diable se cache dans les détails", réclame aussi la création de règles d'exception pour les surfaces d'assolement, autrement dit les meilleures terres cultivables, arguant que celles-ci présentent un intérêt pour la population "au moins comparable aux zones de revitalisation".
Les pêcheurs remontent au front
Ulcérés par ces nouvelles revendications, la Fédération Suisse de Pêche (FSP) dénonce une "ruse des paysans pour blackbouler le Parlement" et brandit la menace d'une réactivation de son initiative, retirée conditionnellement au profit du contre-projet parlementaire au début de l'année et qui avait récolté quelque 161'000 signatures en 2006.
Charles Kull, vice-président de la FSP, craint que la remise en cause des zones de revitalisation - aspect central du projet aux yeux des pêcheurs - ne mette à mal les efforts du Parlement pour élaborer un texte accepté par toutes les parties consultées.
Et la FSP de réclamer que les zones en bordure des cours d'eau ne puisse plus être considérées des surfaces cultivables intensivement, contrairement aux souhaits du monde paysan.
Rappelant au passage que la FSP se réclame politiquement neutre, Charles Kull souligne que, pour la circonstance,sa fédération s'est alliée avec les milieux écologistes en raison de leurs intérêts communs sur la question précise de la revitalisation des cours d'eau.
Des amis de la nature dans l'expectative
Du côté des milieux de protection de la nature, Pro Natura applaudit "l'énorme progrès apporté par la proposition du Parlement". Celle-ci prévoit en effet que sur les 15'000 kilomètres de cours d'eau endigués en Suisse, les 4000 kilomètres les plus abîmés fassent l'objet d'une revitalisation par les cantons qu'ils traversent.
Mais Nicolas Wüthrich, responsable de la communication de l'association, souhaite voir le résultat des modifications d'ordonnances en cours avant de se prononcer plus précisément.
Les petits pas genevois
Dans tous les cas de figure, les projets des cantons devront être négociés au cas par cas avec les propriétaires des terrains traversés par les cours d'eau à revitaliser, souligne de son côté Alexandre Wisard, directeur du service genevois de Renaturation des cours d'eau.
Le canton du bout du lac dispose d'ailleurs d'une solide expérience sur le sujet. Les Genevois ont adopté en 1998 déjà une loi similaire à la nouvelle mouture fédérale en matière de protection des eaux et ont déjà renaturé une bonne partie de leurs cours d'eau anciennement bétonnés (voire encadré).
Alexandre Wisard s'étonne que les propriétaires les plus difficiles à convaincre ne sont pas les paysans. "Il est beaucoup plus aisé de décider un paysan à lâcher des dizaines de mètres carré de terrain à 200-300 balles, que de persuader un propriétaire de villa à en céder quelques-uns à 2000 balles", analyse ce biologiste passionné de pêche.
Le patron de la renaturation des cours d'eau genevois conclut que dans tous les cas, chaque chantier devra être décidé après consultation et en accord avec chaque propriétaire de rive concerné. Et de rappeler le mot d'ordre pour obtenir le droit de renaturer une parcelle: "Il faut que ce soit donnant-donnant; on travaille pour les gens, pas contre eux. Même s'il faut souvent énormément de temps et d'énergie pour parvenir à avancer".
Partant de ce principe, Alexandre Wisard ne voit pas pourquoi les autres cantons du pays n'arriveraient pas à débloquer leurs propres chantiers de revitalisation des cours d'eau. "A condition que les services cantonaux concernés arrivent avec des projets".
Jérôme Holzer
Genève, élève modèle par accident
Parmi les cantons romands, Genève fait figure de premier de classe.
Mais ce bon exemple doit beaucoup à un concours de circonstances, reconnaît Robert Cramer, instigateur de la politique de renaturation des cours d'eau à Genève et membre de la Commission de l'environnement, de l'aménagement du territoire et de l'énergie du Conseil des Etats.
A la fin des années 1990, fraîchement élu premier écologiste au gouvernement genevois, il dispose déjà d'un financement assuré par le fonds de renaturation, légué par son prédécesseur Claude Haegi et d'une toute nouvelle législation.
Les crues à répétition ont déjà fait prendre conscience aux paysans et aux particuliers de la nécessité d'un changement de politique en matière de gestion des cours d'eau.
Une prise de conscience qui s'est concrétisée en 1997 dans les urnes par l'adoption d'une nouvelle législation ouvrant la porte aux chantiers de renaturation.
Le canton mène depuis une politique volontariste, appuyée par une campagne d'information à grande échelle.
Malgré ces efforts, il faudra encore plusieurs années de négociations pour voir s'ouvrir le premier chantier public de renaturation sur une rivière symbolique: la Seymaz, unique cours d'eau intégralement genevois, en 2000.
Protection contre les crues: le volte-face
La nouvelle législation représente un tournant à 180 degré par rapport à l'ancienne politique en matière de protection contre les crues.
Pendant des décennies, il a été largement considéré en Suisse que le meilleur moyen pour éviter les débordements des cours d'eau était de les endiguer.
Or ces constructions ne permettent aucune échappatoire en cas de montée des eaux et accélèrent même cette hausse en cas de goulets d'étranglement.
Le texte qui entrera en vigueur l'année prochaine préconise un retour à des berges plus naturelles et la création de zones d'écoulement, qui permettront de freiner le débit des flots en cas de besoin.