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Affaire libyenne: Merz et Calmy-Rey critiqués

Rien ne va plus entre les deux conseillers fédéraux, photographiés ici le 8 mars 2010, chacun accusant l'autre d'avoir entravé son travail dans le cadre des tractations que tous deux ont mené dans le cadre de l'affaire des otages suisses en Libye. [KEYSTONE - LUKAS LEHMANN]
Lors de l'affaire libyenne, un manque de communication entre le président d'alors et la cheffe de la diplomatie avait provoqué de vives tensions. - [KEYSTONE - LUKAS LEHMANN]
Le Parlement tire à boulets rouges sur le Conseil fédéral dans l'affaire libyenne. Jamais informé comme il faut par ses membres concernés, le gouvernement a très mal géré la crise. Micheline Calmy-Rey comme Hans-Rudolf Merz ont outrepassé leurs compétences.

Très attendu, le rapport de la commission de gestion du Conseil des Etats sur la gestion du dossier, publié vendredi, ne contient pas de grandes révélations mais confirme des dysfonctionnements à répétition.

Gros problème de communication

La communication pèche dès le départ. Le 14 juillet 2008, à la veille de l'arrestation de Hannibal Kadhafi, le Département des affaires étrangères (DFAE) est consulté par le canton de Genève via la mission suisse de l'ONU. Mais personne ne juge bon de faire remonter l'information jusqu'à Micheline Calmy-Rey.

Juridiquement correcte, cette décision empêche la socialiste d'évaluer les risques de l'intervention et de mener une discussion politique avec les autorités genevoises. Impossible toutefois de dire si cela aurait pu éviter la crise, jugent les parlementaires.

Mise au courant, Micheline Calmy-Rey prend les choses en main et informe le Conseil fédéral par oral ou via des notes d'information. Mais aucune discussion approfondie n'est menée au sein du collège: "ce n'est pas un sujet au Conseil fédéral", résume le président de la commission de gestion Peter Briner.

Le tournant

Tout change le 17 juin 2009. Pour débloquer le dossier, le Conseil fédéral le transfère au président de la Confédération Hans-Rudolf Merz mais sans mandat formel. L'étendue des compétences confiées et la répartition des tâches avec le DFAE ne sont ainsi pas définies.

Suisse-Libye: accord suspendu - Coup de théâtre dans l'affaire Kadhafi. Le Conseil fédéral a décidé de suspendre l'accord signé par Hans Rudolf Merz avec la Libye le 20 août dernier.
Suisse-Libye: accord suspendu - Coup de théâtre dans l'affaire Kadhafi. Le Conseil fédéral a décidé de suspendre l'accord signé par Hans Rudolf Merz avec la Libye le 20 août dernier.

La collaboration entre Micheline Calmy-Rey et Hans-Rudolf Merz dégénère. La première refuse de prêter son secrétaire d'Etat adjoint à l'Appenzellois pour son voyage à Tripoli et le second ne l'informe pas de la signature de l'accord. La socialiste se venge en contredisant par "sms" en pleine conférence de presse les propos tenus par Hans-Rudolf Merz à son retour de Libye sans les otages.

La commission de gestion s'insurge contre l'opération cavalier seul du président. Il s'est envolé pour signer un accord avec Tripoli après avoir dit le jour même à ses collègues qu'il n'irait pas. Sans leur feu vert, il a outrepassé ses compétences et pris un gros risque politique, juge la commission de gestion. S'il était rentré avec les otages, on aurait toutefois loué son courage, et salué l'opération, a relativisé Peter Briner.

La question de l'exfiltration

Le DFAE envisage de son côté d'exfiltrer les otages. Jusqu'à la fin de l'automne 2008, l'armée suisse lui met à disposition des membres de son détachement de reconnaissance DRA10. Samuel Schmid est d'accord, mais il ne juge pas bon d'en informer son successeur Ueli Maurer, pensant que les activités ont été suspendues. Le collège n'est lui jamais informé officiellement de ces plans: ni la cheffe du DFAE, ni le chef du DDPS ne le jugent utile. Même Hans-Rudolf Merz se contente d'une allusion faite par Pascal Couchepin en marge d'un repas.

Otages suisses: Max Göldi se rend - Max Göldi se rend aux autorités libyennes pour purger sa peine de quatre mois. Rachid Hamdani pourrait rapidement quitter la Libye
Otages suisses: Max Göldi se rend - Max Göldi se rend aux autorités libyennes pour purger sa peine de quatre mois. Rachid Hamdani pourrait rapidement quitter la Libye

Au nom du secret défense, la commission de gestion ne dévoile pas grand-chose des plans échafaudés. Mais le Bâlois Claude Janiak précise: il n'y a jamais eu d'ordre donné pour une action visant à libérer les otages Max Göldi et Rachid Hamdani. Les deux Suisses n'ont pas été activement intégrés à des préparatifs et le recours à la force n'était pas planifié.

Pour les parlementaires, le recours au détachement DRA10 n'aurait pas posé de problème de légalité. Mais faute d'un mandat du Conseil fédéral, les opérations amorcées par le DFAE ont excédé les compétences accordées par ordonnance au département. L'attaché militaire au Caire avait aussi ses plans pour libérer les otages, mais il s'agissait d'une initiative individuelle sans implication du DFAE. Ueli Maurer a en revanche abordé la question avec l'attaché, mais jugé ces plans qui incluait un "jet-ski" un peu aventureux.

L'organe de surveillance épingle enfin le Conseil fédéral sur des fuites aux médias. Selon lui, elles ne peuvent venir que de l'entourage proche des départements concernés, une "désinformation ciblée" qui doit céder la place à l'esprit d'équipe. Le rapport fait des recommandations pour améliorer l'information et l'attribution de compétences dans le collège (lire ci-contre). Les cantons doivent aussi être mieux associés à la politique extérieure.

ats/hof


ARRESTATION D'HANNIBAL: CALMY-REY AURAIT DU INTERVENIR

La cheffe des Affaires étrangères Micheline Calmy-Rey aurait dû intervenir lors de l'arrestation d'Hannibal Kadhafi ou du moins être informée de la situation, relève par ailleurs le rapport de la commission de gestion de la Chambre des cantons. Selon la commission de gestion du Conseil des Etats, de tels cas relèvent d'un responsable politique.

Micheline Calmy-Rey ce lundi lors de la conférence de presse sur le sommet de la francophonie. [reuters / pascal lauener]
Micheline Calmy-Rey ce lundi lors de la conférence de presse sur le sommet de la francophonie. [reuters / pascal lauener]

Le 14 juillet 2008, un jour avant l'arrestation d'Hannibal Kadhafi par la police genevoise, le canton du bout du lac s'est tourné vers la Mission permanente de la Suisse auprès de l'Office des Nations unies pour obtenir des informations sur le statut du fils du dirigeant libyen et de sa femme.

La mission s'est ensuite tournée vers le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE). Les personnes compétentes de la Direction du droit international du DFAE concluent que le couple ne bénéficie pas de l'immunité diplomatique.

Avant de donner une réponse, elles consultent le secrétaire d'Etat adjoint du DFAE, qui ne juge pas nécessaire d'informer sa cheffe. Or, selon la commission, la problématique aurait dû être traitée au niveau politique.

Lors de cas pareils, la cheffe du DFAE doit être informée à temps, car c'est en premier lieu à un responsable politique qu'il incombe de mener la réflexion politique nécessaire et le cas échéant une discussion politique avec les autorités politiques du canton concerné. Cette tâche ne peut être déléguée.

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Les recommandations de la commission

La gabegie qui a entouré l'affaire Kadhafi ne devrait plus se reproduire. Pour y remédier, la commission de gestion du Conseil des Etats a dressé une liste de 14 recommandations au Conseil fédéral.

Exfiltration: concernant le recours à de telles opérations, la commission de gestion demande au Conseil fédéral de dresser un état des lieux afin de délimiter ce type d'engagement et la compétence dévolue aux services de renseignement militaire et civil. Le gouvernement devra aussi vérifier si son rôle est réglementé de façon opportune. La commission se demande si le Conseil fédéral ne devrait pas décider également du déclenchement et de l'arrêt d'un engagement. Le rôle joué par la délégation du gouvernement pour la sécurité devrait quant à lui être renforcé, ou alors il faudra assigner d'autres objectifs à cet organe.

Communication: le Département fédéral des affaires étrangères est appelé, pour les cas difficiles concernant les immunités diplomatiques, à se doter de directives définissant dans quelle situation, quand et par qui sa cheffe doit impérativement être informée et/ou consultée. Ceci afin qu'elle puisse répondre à sa responsabilité politique. En cas de crise importante, le Conseil fédéral devra définir sa stratégie de manière collégiale.

Répartition des compétences: lorsque le gouvernement donne un mandat au président de la Confédération dans un domaine qui relève d'un autre département, il devra définir la répartition des compétences et les modalités de collaboration. Le gouvernement devra aussi prévoir de renforcer le soutien apporté à la présidence en désignant des personnes détachées avec un mandat d'un contenu et d'une durée spécifiés.

Communication bis: la commission souhaite en outre poser trois conditions pour que le gouvernement puisse assumer une conduite effective des affaires importantes. Les départements concernés devront informer de manière correcte et suffisante le collège.

Prendre des décisions formelles: le gouvernement devra prendre des décisions formelles lorsqu'il transmet un dossier ou un mandat à remplir. Idem lorsque plusieurs départements sont impliqués dans un dossier: il faudra définir la répartition des compétences et les modalités de collaboration.

Délégation des affaires étrangères: elle doit quant à elle être maintenue et son mandat ainsi que sa composition définis clairement.

En cas de crise: tout organe interdépartemental devrait régler dès le départ les flux d'informations entre ses membres et les chefs de départements concernés. L'intégration et la conduite d'un attaché de défense en cas de crise devront aussi être clairement définies. Une réglementation claire est aussi demandée concernant le recours à des médiateurs privés en cas de crise.

Fuites dans la presse: le Conseil fédéral est enfin appelé à prendre des mesures pour empêcher de telles fuites. Le secret doit également être garanti aux plus hauts niveaux de l'administration fédérale.

Couacs avec le canton de Genève: le gouvernement est appelé à analyser, en collaboration avec la Conférence des gouvernements cantonaux, les points de divergences concernant les avis de droit existants. Un rapport devra être remis aux commissions parlementaires de politique extérieure. Ce document doit notamment dire s'il y a besoin de préciser les bases légales et de proposer les modifications nécessaires. La marge de manoeuvre de la Confédération dans des situations extraordinaires devra être prise en compte.

Modalités de collaboration: le Conseil fédéral devrait aussi examiner avec les autorités genevoises s'il faut régler dans une convention les modalités de collaboration, de communication et de décision ainsi que les interlocuteurs. Cette convention devrait aussi régler la question de la traçabilité des informations transmises.