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La mafia fuit l'Italie pour s'installer en Suisse

La police italienne escorte Pasquale Condello, un puissant chef mafieux de la Ndrangheta, lors de son arrestation le 18 février 2008. [Antonio Taccone]
La police italienne escorte un puissant chef mafieux de la N'Drangheta, lors de son arrestation en 2008. - [Antonio Taccone]
Investissements dans l'immobilier, trafic de drogue, blanchiment d'argent: la mafia italienne ne cesse d'étendre ses ramifications en Suisse. La lutte contre les groupes illicites italiens y est ainsi devenue une priorité. L'ex-chef d'un clan de la N'Drangheta s'est confié à la Radiotélévision de la Suisse italienne (RSI).

"La N'Drangheta (mafia calabraise) est une priorité claire du travail de la police criminelle fédérale cette année", a reconnu le porte-parole de l'Office fédéral de la police (Fedpol) Stefan Kunfermann.

Les groupes mafieux italiens déjà actifs en Suisse utilisent le territoire helvétique pour "le blanchiment d'argent", pour "le trafic de stupéfiants à grande échelle" mais aussi comme "zone de repli pour des membres recherchés", ajoute-t-il.

30 milliards blanchis

Pour Stephanie Oesch, chercheuse à l'Université de Zurich et auteur du livre "Le crime organisé, une menace pour la place financière helvétique?", ces groupes auraient ainsi blanchi "entre 20 à 30 milliards de francs suisses" ces cinq dernières années en Suisse à travers notamment des investissements dans la "restauration, l'immobilier, l'art ou le luxe".

Pour le porte-parole de Fedpol, qui cite aussi la construction, ils, "en particulier la N'Drangheta, procèdent à des investissements dans les "cantons frontaliers" mais aussi "dans d'autres cantons".

N'Drangheta en force

La N'Drangheta serait "active sur le territoire helvétique, notamment sur l'axe Zurich-Tessin", explique de son côté une porte-parole du Ministère public de la Confédération, Jeannette Balmer. Elle serait "structurellement et organiquement indépendante de l'organisation criminelle italienne, avec laquelle, par contre, elle (aurait été) régulièrement en contact", détaille-t-elle.

"Le rapport final du juge d'instruction fédéral a été notifié le 8 juin dernier. Le Ministère public analysera ce rapport de 148 pages et évaluera s'il considère opportun de rédiger un acte d'accusation", prévient Jeannette Balmer.

Toujours plus présents

La présence des groupes mafieux italiens s'est de fait dernièrement "fortement accrue", estime l'experte Stephanie Oesch. Un sentiment qui se confirme aussi du côté de l'Office fédéral de la police.

Dans son dernier rapport annuel, Fedpol relève que les organisations de type mafieuse "se trouvent sous une pression croissante en Italie en raison de la détermination des autorités" locales. Il explique ainsi s'attendre à ce que ces groupes "transfèrent davantage leurs activités" en Suisse.

Polices actives

Raison pour laquelle, en novembre 2009 déjà, la Suisse et l'Italie ont décidé de mettre en place un "groupe de travail opérationnel conjoint" (une "task force") pour renforcer leur collaboration policière et la lutte contre les groupes mafieux.

Une "première réunion a eu lieu" cette année, a indiqué à l'AFP le porte-parole du Fedpol Stefan Kunfermann, sans plus de détails sur la rencontre.

Les autorités helvétiques assurent qu'elles enquêtent depuis plusieurs années sur "l'existence d'une organisation criminelle du type de la N'Drangheta", la plus importante et la plus violente des quatre mafias italiennes.

La présence en Suisse de la mafia italienne n'est pas nouvelle, comme le raconte un documentaire diffusé le 16 novembre par la télévision suisse italienne (lire ci-contre). Mais, aujourd'hui, les affaires ont pris une autre dimension...

afp/ats/bri

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Un documentaire sur Felice Ferrazzo

"La N'Drangheta n'est pas un phénomène marginal en Suisse mais représente une réalité solidement implantée. Ses ramifications sont désormais profondes et s'étendent de Lugano à Zurich", raconte à l'ATS Gianni Gaggini, réalisateur à la RSI et co-auteur du documentaire "L'onore del sangue" (L'honneur du sang), documentaire de la RSI, diffusé jeudi.

Pour reconstruire l'avancée de la mafia calabraise en Suisse, Gianni Gaggini et Marco Tagliabue se sont rendus "dans une localité tenue secrète, quelque part en Italie." Ils y ont rencontré Felice Ferrazzo, 55 ans, ex-boss du clan du même nom basé à Mesoraca, dans la province de Crotone, au sud de l'Italie.

Felice Ferrazzo fut le patron absolu de 1990 à 2000 d'une des zones où a eu lieu une des guerres de clan les plus féroces. C'est lui qui a "exporté" la N'Drangheta en Suisse, où il a vécu avec sa famille dans les années 70.

L'homme collabore avec la justice "depuis l'an 2000, lorsqu'il a échappé de justesse à un attentat avec son fils aîné", explique le journaliste tessinois. Il a apporté des témoignages importants dans les procès menés contre la mafia calabraise en Italie et dans les enquêtes judiciaires en Suisse.

Condamné pour de nombreux délits dont des meurtres, il a passé plusieurs années en prison et se trouve actuellement en liberté provisoire, dans l'attente de nouvelles sentences. Il est sous protection.