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Les détenus de Champ-Dollon n'ont pas le moral

Ces derniers mois, les incidents se sont multipliés dans l'enceinte de la prison genevoise.
Ces derniers mois, les incidents se sont multipliés dans l'enceinte de la prison genevoise.
A Champ-Dollon, près d'un détenu sur deux (46%) souffre de troubles psychiques. Chez les femmes, ce chiffre monte à 56%, selon une étude de chercheurs genevois. Ces derniers soulignent la nécessité de mesures ciblées et coordonnées si l'on souhaite réhabiliter intégralement ces prisonniers.

Les équipes d'Ariel Eytan et Hans Wolff, des Départements de psychiatrie et de médecine communautaire des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) ont analysé les dossiers de 1510 détenus - dont 76 femmes - ayant fait appel à l'unité médicale de la prison de Champ-Dollon en 2007.

L'âge des prisonniers s'étalait de 18 à 82 ans, pour une moyenne de 30 ans environ. Résultats: 45,3% des hommes et 56,6% des femmes présentaient divers symptômes et troubles psychiques.

Drogues et cigarettes

Les abus de substances étaient fréquents, avec 41,2% pour l'alcool, 35,9% pour le cannabis, 31,1% pour les benzodiazépines, 26,6% pour la cocaïne et 17,4 pour l'héroïne. En outre, les fumeurs étaient 68,9%, soit plus du double du taux de la population générale.

Quelque 11,6% des hommes et 9,2% des femmes disaient avoir été victimes de violences de la part de la police ou des gardiens, selon ces travaux publiés dans l'"International Journal of Law and Psychiatry".

Il s'agit de la première étude fournissant une description détaillée de la santé mentale des détenus de la plus grande prison préventive de Suisse. En effet, malgré des services médicaux bien dotés dans de nombreux établissements, on ne dispose pas de données épidémiologiques récentes sur les prisons suisses, ont déploré les scientifiques.

"Pas pire qu'ailleurs"

Ces chiffres confirment les résultats d'autres recherches internationales. "Cette proportion élevée de détenus souffrant de troubles psychiques n'est malheureusement pas l'apanage de Champ-Dollon", explique le Dr Eytan. Dans les pays européens, le taux varie de 27% à 78%.

"Des observations semblables sont faites un peu partout dans le monde, notamment en Grande-Bretagne. On connaît aussi la situation inquiétante des prisons françaises, avec des taux de suicide élevés", a ajouté le spécialiste.

Dépression et automutilation

Les chercheurs genevois ont également mis en évidence différentes associations. Ainsi, mis à part l'héroïne, les femmes sont moins représentées dans les abus de substances, mais elles souffrent plus souvent d'angoisses et de dépression.

Les jeunes détenus sont les plus enclins aux abus d'alcool, cannabis et benzodiazépines, ainsi qu'aux troubles de la personnalité et aux comportements auto-agressifs, comme les scarifications par exemple.

La co-morbidité entre le tabac, l'alcool et d'autres produits est très fréquente. Elle est souvent associée à l'anxiété, l'insomnie, ainsi qu'à des problèmes de peau, voire des troubles respiratoires et circulatoires.

ats/sbo

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Une prison surpeuplée

Prévue pour 270 personnes, la prison de Champ-Dollon comptait entre 450 et 500 détenus à l'époque de l'étude. En 2009, la moyenne était de 496 prisonniers, en 2010 de plus de 550. La barre des 600 a été dépassée en mai dernier et un record de 622 détenus atteint le 19 juillet.

Une annexe d'une centaine de places devrait voir le jour l'an prochain. "Réduire la surpopulation va dans le bon sens en permettant de diminuer les tensions à l'intérieur de l'établissement, tant entre détenus et personnel de surveillance que concernant les détenus entre eux", a noté à ce sujet le Dr Ariel Eytan.

Interventions simples mais nécessaires

De manière générale, "des interventions ciblées peuvent permettre d'améliorer les conditions de détention et la santé mentale des détenus en utilisant un minimum de moyens", a estimé le médecin.

L'Australie, où le taux de fumeurs en prison atteint 90%, a mis en place des programmes de lutte contre le tabagisme.

Des mesures de santé mentale s'adressant spécifiquement aux femmes seraient également souhaitables, même si elles ne représentent qu'une petite partie des personnes incarcérées.

Les données indiquent que plus de 70% des détenues ont subi des violences ou des abus sexuels.

Enfin, l'insomnie en prison ne devrait pas être traitée comme un problème secondaire. Elle est en effet souvent associée à une mauvaise santé physique, notent les chercheurs, qui soulignent que l'Organisation mondiale de la santé a fixé l'an dernier dans ses objectifs stratégiques l'amélioration des soins en prison.