La loi sur le blanchiment d'argent exige que la crédibilité d'un versement inhabituellement élevé soit établie avant la transaction. Or le versement incriminé de 4,6 millions de francs a été réalisé il y a six ans au guichet d'un office postal à Soleure et ce, sans vérification. La Poste ne disposait alors pas de règlement en la matière.
Il s'agit d'un "manque d'organisation", constate le Tribunal administratif de Soleure dans son jugement publié jeudi. Pour le juge unique Daniel Wormser, il était établi qu'une escroquerie est à l'origine du versement.
Le magistrat considère en outre La Poste responsable en tant qu'entreprise, même si aucune preuve n'a pu être établie contre des personnes physiques. Jusque là, seuls des employés avaient été condamnés dans des cas de blanchiment d'argent.
Contrôle superficiel
Les faits jugés remontent au 11 février 2005. Une personne effectue alors un versement de 4,6 millions de francs en espèce en faveur du responsable d'une société de placement (BE CreativeService).
Une employée de l'office postal contacte immédiatement le service interne spécialisé dans le blanchiment d'argent. L'expert sollicité vérifie alors uniquement si le compte concerné n'a pas été bloqué et si une somme suffisante s'y trouve. En réalité, la somme provenait d'un placement de 5 millions de francs réalisé la veille par deux clients hollandais de BE Creative-Service.
Ces deux conseillers en placements ont entretemps été inculpés pour blanchiment d'argent et escroqueries. Mais l'argent versé par l'intermédiaire de PostFinance s'est évaporé, malgré 64 demandes d'entraide judiciaire adressées à huit pays différents.
Clément par rapport au procureur
Le juge soleurois a plutôt été clément par rapport aux exigences du Ministère public. Mardi, le procureur avait requis une amende de 2,6 millions de francs. Plaidant l'acquittement, la défense avait estimé l'acte d'accusation lacunaire.
Outre l'amende, La Poste devra payer les frais de justice. Quant à l'escroquerie, elle porte sur 34 millions de francs. Pas moins de 95 investisseurs ont été grugés. La date du procès des deux conseillers en placements n'est pas encore fixée.
Jeudi matin, le porte-parole de PostFinance, Marc Andrey, a déclaré à la radio locale "Radio 1" que l'institut contestait totalement les griefs retenus par le Tribunal administratif de Soleure-Lebern.
ats/vkiss/olhor
Impact sur la place financière
"Ce jugement aura un large impact sur la place financière suisse", commente l'expert en blanchiment d'argent Daniel Thelesklaf, interrogé par l'ATS.
Actuel directeur du Basel Institute on Governance, il dirigeait auparavant le Bureau de communication en matière de blanchiment d'argent (MROS) de l'Office fédéral de la police.
Les entreprises peuvent donc être amenées à répondre à la justice s'ils ne disposent pas d'une réglementation suffisante. "C'est justement ce que le législateur a voulu", souligne l'expert.
Le tribunal soleurois soulève ainsi l'incertitude qui entourait cette question fondamentale. "Les intermédiaires financiers issus du secteur non bancaire vont devoir revoir leur copie."