Agissant en tandem avec un avocat parisien – l’ancien bâtonnier Mario Stasi – maître de Preux a enquêté sur la vente, en mai 2010, sur ordre de Laurent Gbagbo, d’une luxueuse propriété de Vandoeuvres appartenant à l’Etat ivoirien.
Puis, il a aidé le nouveau pouvoir ivoirien à déposer à Berne, une plainte pénale pour blanchiment d’argent à l’encontre de dix personnes – dont les époux Gbagbo – et cinq entités morales. Cette démarche a abouti à l’ouverture, le 18 avril, d’une enquête par le Ministère public de la confédération.
Probable fraude
Les investigations menées autour de la villa de Vandoeuvres laissent apparaître une probable fraude au profit du clan Gbagbo. En mai 2010, alors que la campagne électorale démarrait en Côte d’Ivoire, les lieux avaient été cédés pour 15,3 millions de francs suisses à La Capite 110 SA, une société immobilière créée 15 jours auparavant et présidée par un Libanais, négociant de café ivoirien.
En décembre 2010, le journal La Croix révélait l’existence d’une procuration de 2007 signée par Laurent Gbagbo, donnant pouvoir à un avocat franco-ivoirien pour vendre ce bien et de verser les fonds sur le compte « Présidence de la République » à la Société Générale à Paris.
Maîtres de Preux et Stasi ont pu établir que l’argent n’avait pas atterri sur ce compte, mais sur celui d’un notaire à Paris. Ce dernier dont les avocats souhaitent taire le nom, a expliqué que la moitié du produit de la vente, soit 7 millions de francs – soit environ 6 millions d’euros – avait été utilisé pour des travaux de réfection à l’ambassade de Côte d’Ivoire à Paris, et que le reste était à disposition. Une explication qui ne satisfait pas tout à fait Bruno de Preux qui dit poursuivre les investigations.
Plainte pénale
Quant à la plainte pénale pour blanchiment d’argent, signée par Jeannot Ahoussou-Kouadio, ministre de la Justice et Charles Diby Koffi, ministre de l’Economie, et déposée à Berne le 18 mars alors qu’à Abidjan la guerre civile faisait encore rage, elle passe en revue la manière dont les proches de Laurent Gbagbo se sont indûment enrichis depuis 2000.
Outre l’ancien président et sa femme, sont mentionnés d’anciens ministres, magistrats, fonctionnaires qui ont fait fortune de manière fulgurante et mènent grand train, comme cet ancien enseignant payé au départ 800 euros pas mois, devenu ministre et haut responsable du Front populaire ivoirien (FPI) en 2001, et qui a pu s’offrir de luxueuses propriétés à Abidjan et à Paris.
Ou encore, un ancien chômeur nommé directeur général du Port d’Abidjan, acquéreur d’un hôtel particulier à Paris, avenue Victor Hugo. En Côte d’Ivoire, une enquête pour corruption et gestion déloyale a déjà été ouverte contre toutes ces personnes. Abidjan les soupçonne d’avoir des comptes en banque en Suisse.
Des avoirs de 393 millions de francs
Dans leur plainte, les autorités ivoiriennes rappellent qu’en Suisse, en vertu d’un arrêt du Tribunal fédéral, le détournement systématique des ressources d’un Etat par un haut responsable et son entourage constitue une participation à une organisation criminelle.
A charge pour ses membres de faire la preuve de l’origine « licite » de leur fortune. Sur les 70 millions bloqués, combien appartiennent au cercle étroit de Laurent Gbagbo ? Sollicité, le Ministère public de la confédération reste muet.
Selon la BNS, les avoirs ivoiriens s’élevaient début 2011 à 393 millions de francs. Le 19 janvier 2011, le Conseil fédéral avait édicté une ordonnance de blocage à titre préventif et établit une liste de 85 personnes – dont les dix personnes citées dans la plainte – et 11 entités morales.
Agathe Duparc et Marc Allgöwer