Deux sociologues de l'Université de Zurich notent dans leur étude soutenue par le Programme national de recherche publiée mercredi que dans le débat public, les migrants de confession musulmane sont perçus en bloc comme des musulmans et comme une menace pour la Suisse. Et ce même lorsqu'ils n'ont rien à voir avec le fondamentalisme. Ils se sont demandés comment cette généralisation a émergé.
Médias et politique examinés
Dans le cadre du Programme national de recherche (PNR) 58, Patrik Ettinger et Kurt Imhof ont examiné la façon dont la minorité musulmane est perçue dans les médias et au niveau politique. Les deux chercheurs ont analysé des quotidiens et des hebdomadaires parus depuis 1960 et ausculté des émissions d'information de la télévision publique alémanique (SF) diffusées depuis 1998. Ils se sont aussi penchés notamment sur les interventions parlementaires et leur compte-rendu dans les médias.
Longtemps, les musulmans n'ont guère été mentionnés dans le discours public en tant que groupe religieux. Le premier écho de grande envergure date de 1979, avec la révolution iranienne. Toutefois, à l'époque, cette dernière n'est interprétée que dans une perspective Est-Ouest, en raison du durcissement de la guerre froide.
Un tournant dès le 11 Septembre
Les choses changent après les attentats terroristes de septembre 2001 aux Etats-Unis. "Au départ, les médias faisaient une claire différence entre le terrorisme islamique à l'étranger et les musulmans de Suisse, intégrés et pacifistes", signale Patrik Ettinger. Le tournant s'est amorcé dès 2004. Il y a eu les attentats de Madrid et de Londres (2005), puis la controverse des caricatures de Mahomet (2006).
La perception d'un islam belliqueux impliqué dans des conflits internationaux a été de plus en plus généralisée aux musulmans de Suisse, note l'étude. L'analyse des sociologues montre que cette perspective a été surtout attisée par l'UDC. Dans ses annonces et sur ses affiches, ce parti a toujours plus souligné l'origine musulmane des migrants, en plus de leur origine ethnique, par exemple dans sa campagne pour la votation sur la naturalisation facilitée des étrangers de deuxième et de troisième génération en 2004.
L'exemple de la votation anti-minarets
Des représentants d'autres partis et les médias ont certes critiqué cette campagne, la qualifiant de raciste et de provocatrice. Mais pratiquement aucun débat de fond n'a eu lieu. "Cela a contribué à façonner une minorité musulmane en Suisse dans la communication publique", affirme Patrik Ettinger. Dans le cadre de l'initiative anti-minarets, les comptes-rendus des médias sur cette minorité sont devenus de plus en plus généralisateurs et négatifs. Les musulmans ont été davantage décrits collectivement comme "violents" et "ignorants" par exemple.
En 2006, dans les médias étudiés, près d'un tiers des catégorisations associées aux musulmans étaient généralisatrices ou négatives. Le taux atteint la moitié en 2009. Lors de la couverture de l'initiative anti-minarets, le phénomène est apparu de manière particulièrement flagrante. Même si la plupart des partis étaient opposés à l'initiative, ces derniers ont bénéficié de trois fois moins d'écho dans les médias que les partisans et leurs positions provocatrices.
"Cela vient aussi du fait que les opposants se sont nettement moins engagés", précise Patrik Ettinger. La parole a été donnée le plus souvent à des musulmans dans le rôle des opposants à l'initiative. Conclusion des deux scientifiques: les médias n'ont pas réussi à instaurer un débat public différencié autour de cette votation.
ats/mej