Le dossier retourne à la Chambre du peuple. Celle-ci ne pourra qu'accepter la motion revue par la Chambre des cantons, sous peine de tout faire capoter. Quelle que soit la décision finale du Parlement, il ne se passera rien durant les 20 prochaines années.
"Mais même si une interdiction totale de l'atome était ordonnée, cela n'empêcherait pas nos successeurs de construire de nouveaux réacteurs", a expliqué Filippo Lombardi (PDC/TI) au nom de la commission préparatoire. Et de défendre les retouches apportées aux motions adoptées par le National.
Poursuite de la recherche
Le texte de synthèse soutenu par les sénateurs prévoit aussi qu'aucune autorisation ne sera accordée pour de nouvelles centrales. Mais il ajoute "il ne sera édicté aucune interdiction de technologies".
Outre des mesures encourageant l'énergie renouvelable et l'efficacité énergétique, la motion du Conseil des Etats exige la poursuite de la recherche dans le nucléaire. En outre, le Conseil fédéral devra rendre compte régulièrement de l'évolution des techniques.
L'engagement de Doris Leuthard
Doris Leuthard a plaidé avec force pour la sortie progressive du nucléaire devant les sénateurs. La Suisse est à un tournant: l'heure est venue de miser sur les énergies renouvelables en vue de rattraper le retard, a déclaré la conseillère fédérale.
Dans cette optique, la ministre de l'énergie a appelé à "investir dans le futur pour notre économie et nos enfants". Aujourd'hui, la loi sur l'énergie ne fixe pas d'interdiction de technologies, a-t-elle rappelé. Ainsi, les centrales à gaz ne sont pas proscrites.
La catastrophe de Fukushima a mis en lumière une nouvelle fois le risque résiduel du nucléaire. Face à ce danger, le Conseil fédéral a décidé qu'il ne voulait pas autoriser la construction de nouvelles centrales et lier la Suisse à l'atome encore pendant 50 ou 60 ans, a relevé Doris Leuthard.
Sans l'accident nucléaire au Japon, le gouvernement aurait dû se prononcer l'an prochain sur trois demandes d'autorisation pour de nouveaux réacteurs; il aurait probablement accepté l'une d'entre elles, a avoué la ministre.
Dernier mot au peuple
Si la situation change dans le futur, les responsables politiques pourront inverser la décision prise actuellement, a rappelé Doris Leuthard.
Le peuple aura toujours le dernier mot en la matière, grâce au référendum. Aujourd'hui, la Suisse profite de l'électricité nucléaire bon marché, les énergies renouvelables n'étant pas encore suffisantes pour combler les besoins.
Mais la situation des prix se détériorera à l'avenir, même si on décidait d'en rester à l'atome, a assuré la conseillère fédérale. Chaque nouvelle centrale coûterait au moins 11 milliards de francs.
ats/pym
Un texte "maison"
Les sénateurs ont approuvé mercredi leur propre texte élaboré par une majorité de leur commission et rejeté les trois motions du Conseil national.
"La commission a écrit un nouveau texte, ce qui est inhabituel", a reconnu son rapporteur Filippo Lombardi (PDC/TI). "C'est le fruit d'un travail approfondi de cinq jours et d'une 'real politique'", a-t-il souligné.
"Le nucléaire n'a pas d'avenir en Suisse et nous devons en sortir le plus vite possible", a plaidé pour sa part Didier Berberat (PS/NE). Il considère toutefois qu'interdire la construction de centrales de la génération actuelle est une formulation trop vague.
"Depuis longtemps, l'énergie nucléaire est pour moi une énergie d'avenir", a expliqué le conseiller aux Etats Rolf Schweiger (PLR/ZG), président de la commission. Il a souligné qu'il fallait s'appuyer sur des chiffres précis, par exemple ceux d'une consommation d'électricité en continuelle augmentation, avant de prendre une décision.
Pour Urs Schwaller (PDC/FR), il faut une transition en douceur: on ne va pas déconnecter immédiatement les centrales actuelles mais les laisser fonctionner encore 20 ans.
La sortie du nucléaire est facile mais le remplacement est extrêmement difficile, a relevé Bruno Frick (PDC/SZ). Il ne faut pas oublier qu'il s'agit de remplacer 40% de l'approvisionnement électrique du pays. Et cela ne sert à rien de supprimer des centrales nucléaires suisses pour importer le courant fourni par les centrales atomiques d'autres pays.
Verena Diener (Verts libéraux/ZH) ne voit qu'un scénario, la sortie du nucléaire, et pour elle il n'y a pas de petite porte pour son retour en grâce. Elle s'est voulue rassurante: les moyens mis à disposition de la recherche et de la formation en doivent pas être réduits; il n'y aura pas d'interdiction technologique.
Pour le plus ardent défenseur de l'énergie nucléaire, Adrian Amstutz (UDC/BE), la décision du Conseil fédéral n'est pas sérieuse et n'a aucun rapport avec la réalité. Il estime qu'il faut y voir une péripétie de la campagne électorale durant laquelle on jette à la poubelle tout le travail effectué jusque-là.
Le Jura ne veut plus de Mühleberg
Le canton du Jura exige l'arrêt immédiat de la centrale nucléaire de Mühleberg (BE). Le parlement a accepté mercredi par 31 voix contre 22 et 5 abstentions une motion du groupe CS-POP Verts demandant au gouvernement d'intervenir auprès des autorités.
"Mühleberg représente un risque trop grand pour la population aux alentours", a estimé la députée écologiste Erica Hennequin. Pour la motionnaire, cette centrale est vieille et dangereuse. A ses yeux, l'Inspection fédérale de la sécurité nucléaire (IFSN) n'est pas neutre. Des propos qui ont convaincu la gauche et certains élus PDC.
L'UDC et le PLR ont eux appelé au réalisme pour rejeter cette motion qui exige aussi la fermeture de la centrale nucléaire française de Fessenheim. Le Gouvernement jurassien appelait au rejet de cette motion, souhaitant faire confiance au Conseil fédéral pour sortir du nucléaire.
Promotion de l'efficacité énergétique
Après avoir voté la sortie progressive de l'atome, le Conseil des Etats s'est attaqué mercredi aux moyens de garantir l'approvisionnement électrique autrement. Pour l'instant, il mise sur l'efficacité énergétique.
Le Conseil fédéral devra passer en revue les différents éclairages publics. Le Conseil des Etats lui a tacitement transmis une motion du National le chargeant de miser sur l'efficacité énergétique et de remplacer d'ici à fin 2020 toutes les lampes ne présentant pas l'efficacité voulue.
Le gouvernement n'aura en revanche pas besoin de légiférer pour remplacer les chauffages électriques par d'autres systèmes de chauffage d'ici à 2025, ont décidé les sénateurs par 19 voix contre 18. Une minorité a plaidé en vain pour la suppression de ces installations qui gaspillent beaucoup de chaleur. C'est un gros potentiel d'économies, a reconnu Doris Leuthard. Mais ces chauffages sont surtout utilisés dans les résidences secondaires ou sur les chantiers et il est donc difficile de trouver des alternatives. Une interdiction générale serait problématique pour les secteurs du bâtiment et du tourisme, mais une discussion est en cours avec les cantons, a annoncé la conseillère fédérale.
Le Conseil des Etats ne veut pas non plus obliger le Conseil fédéral à créer les bases légales pour garantir l'utilisation de compteurs électriques individuels. Il a décidé tacitement de transformer en mandat d'examen une motion du National qui vise à ce que 80% des ménages suisses soient équipés de tels compteurs d'ici à 2020. La balle retourne dans le camp de la Chambre du peuple.
Les sénateurs sont en revanche favorables à une adaptation des normes d'efficacité des appareils électriques (dans l'ordonnance sur l'énergie). Mais contrairement au National, ils ne souhaitent des exigences minimales que pour les catégories importantes d'appareils et un alignement sur les normes européennes uniquement s'il conduit à des économies d'énergie notables en Suisse. Le National devra se prononcer sur la motion modifiée.