Il est environ 09h30 ce mercredi-là, quand un camion d'une entreprise belge s'engage dans le tunnel par son entrée sud. Il est conduit par un Turc ivre. Après avoir roulé durant un kilomètre, le chauffeur perd la maîtrise de son véhicule. Celui-ci heurte à 40 km/h la paroi de la galerie avant d'être déporté sur la chaussée opposée. Il emboutit un camion italien qui circule normalement. Sous le choc, un réservoir de carburant éclate et du diesel se répand sur la chaussée. Un court-circuit sur un câble électrique provoque une étincelle et un gigantesque brasier. Le chaleur atteint 1200 degrés.
L'incendie va surtout coûter la vie à onze personnes: dix sont mortellement intoxiquées par la fumée, une périt carbonisée. Pas moins de 300 secouristes affluent mais n'atteignent le lieu de l'accident que deux jours plus tard car la voûte de la galerie menace de s'effondrer. Dans le tunnel, une centaine de voitures et quinze camions, souvent abîmés par des gravats, sont abandonnés par leurs occupants.
"C'est un véritable enfer", constate le président de la Confédération Moritz Leuenberger accouru le lendemain sur place. Il qualifie cet accident de tragédie pour toute l'Europe.
La polémique enfle
Peu après le tragique accident helvétique, qui suit de près celle du Mont-Blanc, la polémique reprend à propos de la sécurité du transport de marchandises sur des axes routiers importants qui traversent un tunnel à unique galerie bidirectionnelle. En Suisse, maintes voix s'élèvent pour réclamer la construction d'un deuxième tube routier au Saint-Gothard.
Le tunnel routier du Gothard sera finalement fermé à la circulation durant deux mois. Ce qui provoquera un manque à gagner de 33 millions de francs à l'économie tessinoise, selon une étude de l'Université de la Suisse italienne. La réparation des infrastructures aura coûté 14 millions de francs.
De nombreuses mesures de sécurité
Après le tragique accident, des aménagements ont accru la sécurité. Aux deux entrées par exemple, un système calcule le nombre de véhicules: 1000 au maximum peuvent traverser le tunnel par heure, dans chaque sens. Le dosage prévoit un poids lourd pour trois automobiles. La surveillance par caméras vidéo et l'éclairage ont été améliorés. Le système d'aération, la signalisation ou le matériel informatique ont été revus et corrigés. Ces dispositifs ont contribué à diminuer le nombre d'accidents. Celui-ci était de 40 à 60 en moyenne chaque année avant le drame. Depuis, il avoisine dix par an.
Autre conséquence, la création d'un Centre de compétence pour le trafic lourd à Ripshausen (UR), sur le versant nord du tunnel. Des camions y sont choisis de façon aléatoire et contrôlés. L'infrastructure peut accueillir 495 poids lourds. Un tel centre verra le jour en 2016 près de Bodio (TI).
Enfin l'Office fédéral des routes (OFROU) expérimente actuellement une installation à Airolo (TI). Dès l'été 2012, elle permettra de détecter automatiquement tout poids lourd présentant un danger d'incendie et de donner l'alerte. Des caméras infra-rouge mesurent la chaleur dégagée par le véhicule.
Il faut bien plus: un second tube
Pour l'Association suisse des transports routiers (ASTAG), ces aménagements ont eu partiellement des effets positifs. L'ASTAG plaide surtout pour un second tube au Gothard. Son directeur Michael Gehrken souhaite aussi une meilleure gestion du passage à la douane de Chiasso (TI). Le Touring Club de Suisse attire aussi l'attention sur le danger que représentent toujours les tunnels routiers avec axe bidirectionnel. L'organisation préconise aussi la construction d'un second tube.
Ce n'est pas l'avis de l'Association transports et environnement (ATE), qui salue les progrès accomplis mais voudrait la mise en place d'une interdiction totale de consommation d'alcool pour les chauffeurs de poids lourds. Elle prône le transfert des camions sur le rail, notamment via le tunnel ferroviaire de base dont la mise en service est prévue fin 2016.
ats/pbug
Toujours des bouchons au Gothard
Ces dernières années, l'axe du Gothard a été régulièrement surchargé. L'an passé, des bouchons ont été signalés lors de 183 jours côté tessinois, 141 côté uranais. Cela représente quasiment un jour sur deux. Cas extrême, le 23 juillet dernier la file d'attente s'est étirée sur 18 kilomètres devant l'entrée nord.
Le projet d'assainissement dès 2020 suscite des inquiétudes car le tunnel pourrait être fermé durant 900 jours, soit deux ans et demi. Une autre option envisage une fermeture de septembre à mi-juin pendant trois ans et demi. La solution passe par le creusement d'un second tunnel routier, estiment en particulier les gouvernements des cantons du Tessin, des Grisons et d'Uri.
D'autres organisations, telle l'Initiative des Alpes, préconisent le transfert des poids lourds de la route au rail via le futur tunnel de base. L'impact des travaux d'assainissement du tunnel routier sur l'économie fait l'objet d'une étude. Le résultat pourrait être connu dans quelques mois.