Tsrinfo.ch : Suite aux dernières élections fédérales, le visage du Parlement s’est modifié, avec le recul de l’UDC et l’émergence de nouveaux partis au centre. Cette modification constitue-t-elle un moment particulier à l’aune de la vie politique fédérale ?
Ioannis Papadopoulos : On ne peut pas dire qu’il s’agit d’un événement extraordinaire. Il y a toujours eu un univers du centre et de la droite classique (hors de l’UDC, ndlr). Il se modifie au cours du temps. Ainsi, l’Alliance des Indépendants, créée par le fondateur de la Migros Gottlieb Duttweiler, a existé de 1935 à 2003. De même, le Parti Libéral s’est éteint en 2009 (créé en 1913, ndlr), en fusionnant avec le Parti Radical. Ce qui est constant, c’est la permanence de deux grandes formations politiques dans cet espace, malgré leur déclin électoral, le PDC et le PLR.
Pourtant, on a l’impression que cette élection a eu un impact fort sur la vie politique helvétique, et sur l’élection au Conseil fédéral à venir. Pourquoi ?
Ce qui caractérise cette élection, c’est l’incertitude régnant autour d’une partie des élections individuelles. Ces dernières années, depuis l’éviction de la conseillère fédérale PDC Ruth Metzler en 2003, les élections se jouent à quelques voix près, ce qui n’était pas le cas auparavant.
D’où vient cette incertitude ?
Il y a une plus forte concurrence entre les partis, et il est même arrivé que des partis très proches comme le PDC et le PLR soient en concurrence pour un siège. Rappelez-vous l’épisode Urs Schwaller en 2009. Le PDC l’avait présenté comme candidat à la succession du conseiller fédéral radical Pascal Couchepin. L’équilibre de la formule magique a disparu, aussi car les rapports de force électoraux entre les partis ont évolué, notamment au sein du bloc bourgeois au profit de l’UDC. Il y a 20 ans, l’UDC représentait un quart des voix du PLR et PDC réunis. Aujourd’hui, l’UDC et ce qu’on appelle le centre-droit ont une force égale.
Y a-t-il un autre élément novateur dans cette élection ?
La double candidature, le fait de proposer deux candidats lorsqu’un parti doit renouveler un siège, est en train de s’institutionnaliser dans ces dernières élections. Ceci résulte à la fois de la volonté collective du parlement de se prononcer en toute souveraineté, et de celle de chaque parti individuellement de ne pas courir un trop grand risque d’avoir un élu imposé par les autres.
Les mots d’ordre, consignes de vote, qui devraient réduire l’incertitude, ne sont-ils pas respectés ?
C’est toujours difficile à dire avec précision, comme on sait que le vote se tient à bulletin secret. En étudiant les votes sur les divers objets lors des dernières législatures, on s’aperçoit que certains groupes parlementaires votent de manière plus disciplinée que d’autres. Les élus PDC ont par exemple un spectre de positions beaucoup plus large que le PLR. Le PS et l’UDC votent généralement plus compact. Quant à savoir comment les députés vont se comporter le 14 décembre, c’est difficile à pronostiquer.
Tout reste très ouvert donc ?
Tout à fait, d’autant plus que les conseillers fédéraux sont élus les uns après les autres. Cette élection en cascade implique que plusieurs élections vont dépendre de ce qui se passe au tour précédent. C’est un élément d’incertitude supplémentaire.
Chaque parti avance sa propre définition de la concordance pour affirmer le droit à son ou à ses sièges. Pour vous, quel est le sens de la notion de concordance ?
La concordance signifie l’entente, donc le fait que les partis qui participent au gouvernement n’aient pas des positions très éloignées. Cependant, s’entendre ne signifie pas en Suisse se mettre d’accord sur un programme commun. Cette entente n’existe plus aujourd’hui. Lors de la dernière législature, il y avait par exemple toujours un des grands partis gouvernementaux (le PS ou l’UDC) qui s’opposait aux projets du gouvernement soumis au référendum.
Au-delà de l’entente, peut-on encore affiner cette définition de la concordance ?
On peut aussi raisonnablement considérer que si les principales forces politiques sont représentées au Conseil fédéral, cela contribue à la concordance. Attention, cela ne veut nécessairement pas dire qu’elles soient représentées proportionnellement à leur score aux élections fédérales. Pour mémoire, l’UDC a eu droit à son premier conseiller fédéral en 1929. Le PS, qui était le plus grand parti de Suisse depuis les années trente avec le double des voix de l’UDC, a dû patienter jusqu’en 1943 pour avoir son premier strapontin au Conseil fédéral, puis jusqu’en 1959 pour son deuxième siège.
Définir la concordance en tant que concordance arithmétique n’a donc pas de sens ?
Non. La proportionnalité entre les grands partis n’a existé que de 1959 à 2003.
Suivant votre définition de la concordance, le PBD peut-il prétendre garder son siège ?
Oui, si on est d’accord avec le constat suivant. Les différences entre les grands partis sont désormais devenues trop importantes pour qu’ils s’entendent. La concordance implique donc des stabilisateurs nouveaux, comme le PBD. Le principe qu’en intégrant les plus grandes forces politiques on assure l’entente dans le pays est désormais caduc.
Cette compétition exacerbée entre partis et ces différences programmatiques posent-elle un problème de gouvernance au niveau du Conseil fédéral ?
A mon sens, il suffit que trois des quatre partis gouvernementaux s’entendent pour pouvoir gouverner, c’est-à-dire obtenir le soutien du peuple en cas de référendum. C’est ce que j’appelle la petite concordance. Dans ce fonctionnement, le PDC et le PLR jouent toujours un rôle pivot, avec un appui soit du PS, soit de l’UDC, en fonction du sujet abordé. Mais alors on peut évidemment se poser la question de savoir si la représentation au Conseil fédéral de tous les grands partis fait désormais sens.
Propos recueillis par Ralph Berger