Quelle est l'origine de l'affaire?
Dans leur édition du 1er janvier 2012, les journaux dominicaux alémaniques NZZ am Sonntag et SonntagsZeitung révèlent que le leader de l'UDC et ancien conseiller fédéral Christoph Blocher aurait transmis au gouvernement le 15 décembre 2011 des documents bancaires accusant le président de la Banque nationale suisse (BNS) Philipp Hildebrand d'avoir fourni à sa femme des informations lui permettant de profiter du marché des devises, peu avant la décision de fixer un taux plancher pour l'euro à 1,20 franc.
Quel est le montant de la transaction suspecte?
Selon l'hebdomadaire alémanique Die Weltwoche, la transaction porterait sur un montant de 500'000 dollars. Achetés le 15 août à 0,79 USD pour 1 franc, ils ont pu être revendus à 0,92 USD pour 1 franc trois semaines plus tard, après la décision de la BNS de fixer un taux plancher pour l'euro. Die Weltwoche estimerait toutefois que des transactions litigieuses auraient eu lieu dès le mois de mars, à hauteur de 1,1 million de francs.
Qui a ordonné la transaction?
Les premiers éléments menaient vers l'épouse de Philipp Hildebrand, Kashya, ancienne trader et propriétaire d'une galerie d'art à Zurich. Mais de nouvelles révélations de la Weltwoche en janvier 2012 laissent supposer que l'ordre émanait directement du président de la BNS. Les comptes de la banque Sarasin incriminés seraient en outre les siens, et non ceux de son épouse (lire Affaire Hildebrand). Jeudi, le président de la BNS a toutefois assuré que la transaction provenait bel et bien de sa femme. Il a même explique que Kashya ayant "une forte personnalité", il n'était pas toujours au courant de ses affaires financières.
Quelle est la source de la fuite?
Selon la banque Sarasin, un conseiller clientèle a avoué mardi avoir remis des documents bancaires confidentiels à un avocat. Ce dernier aurait organisé le 11 novembre dernier un rendez-vous avec le conseiller national et vice-président de l'UDC suisse Christoph Blocher. (lire Affaire Hildebrand) Un employé de la banque Sarasin aurait par ailleurs déposé plainte contre Philipp Hildebrand pour délit d'initié.
Pourquoi Christoph Blocher s'attaque-t-il à Philipp Hildebrand?
Les origines du conflit entre les deux hommes forts sont floues. Mais les relations entre l'UDC et Philipp Hildebrand se sont du moins publiquement déteriorées précisément le 21 janvier 2011 lors du meeting de l'UDC zurichoise à l’Albisgüetli. Christoph Blocher a à cette occasion reproché à Philipp Hildebrand - président de la BNS depuis janvier 2010 - d’avoir décidé trop rapidement d’acheter des euros en masse pour affaiblir le franc suisse, un reproche que la Weltwoche formulait depuis plusieurs mois déjà. S'en est suivie une succession d'attaques du leader de l'UDC notamment dans la Weltwoche pour obtenir le départ du président de la BNS. (lire Rumeurs à la BNS)
Pourquoi Christoph Blocher a-t-il attendu l'élection du 14 décembre pour transmettre les informations?
Christoph Blocher n'a pas encore répondu à cette question, difficilement compréhensible pour l'instant. Seule hypothèse, le conseiller national zurichois, sortant de son échec personnel à l'élection au Conseil des Etats du 23 octobre et, plus largement, de l'échec de l'UDC, voulait attendre l'élection au Conseil fédéral du 14 décembre pour voir si son parti reprendrait des couleurs. Constatant que ce n'était pas le cas, il aurait brandi ces informations, comme une vengeance.
Pourquoi Christoph Blocher s'est-il adressé directement à Micheline Calmy-Rey et non à la justice?
Selon une source proche du dossier citée dans Le Temps du 3 janvier 2012, Christoph Blocher se serait contenté de justifier ce choix en expliquant que, en sa qualité de parlementaire, il voulait porter ses informations au pouvoir exécutif suprême que représentait la présidente de la Confédération. Mais le gouvernement estime que le parlementaire zurichois aurait pu vouloir tendre un piège. En cas de non-réaction, il aurait pu accuser le Conseil fédéral de connivence avec Philipp Hildebrand.
Quelle a été la réaction du Conseil fédéral?
Après avoir reçu les informations, la présidente de la Confédération a convoqué une délégation gouvernementale ad hoc pour discuter du sujet lors d'une séance. Philipp Hildebrand a proposé de lui-même de mettre à disposition toutes ses relations bancaires. Comme le Conseil fédéral est l'autorité de nomination du président du directoire de la BNS, la délégation ad hoc a décidé de faire examiner ces comptes. Cette enquête a montré que Philipp Hildebrand n'a pas bénéficié illicitement et personnellement de l'introduction en septembre du taux plancher face à l'euro et qu'aucune transaction illicite n'a été opérée.
Comment expliquer la lenteur de réaction des parties concernées?
Les principales parties impliquées dans l'affaire sont longtemps restées silencieuses. Christoph Blocher se bornait à dire que "il y a un temps pour se taire et un temps pour parler" et la BNS se contentait de renvoyer tous ceux qui l'interpellaient au communiqué publié le 23 décembre, espérant sans doute qu'il suffirait à taire la rumeur. Mais sous la pression, la banque nationale a publié mercredi son règlement interne ainsi que le rapport du cabinet d'audit, tout en assurant qu'ils ne remettaient pas en cause le blanchiment de son président. Christoph Blocher a fini par s'expliquer vendredi, mais sans donner de réponses précises sur la manière dont il avait obtenu les informations, déclarant seulement qu'il existait "plusieurs informateurs et plusieurs banques concernées". Le conseiller national zurichois UDC s'est contenté de qualifier Philipp Hildebrand de "spéculateur" qu'on ne pouvait plus soutenir et d'appeler à sa démission. Le président de la BNS, lui, s'était exprimé devant la presse jeudi.
Que risquent les protagonistes de l'affaire?
Tout dépendra de l'évolution du dossier. Si l'innocence de Philipp Hildebrand est confirmée, la BNS peut porter plainte contre le conseiller de la banque Sarasin pour violation du secret bancaire. La banque Sarasin a d'ailleurs, elle, porté plainte contre le délateur et menace des tiers, notamment l'avocat Hermann Lei qui avait reçu les documents volés et la Weltwoche pour "informations erronées". Lors de son intervention jeudi, le président de la BNS a annoncé qu'il discuterait avec son avocat pour savoir les suites à donner à cette affaire. Christoph Blocher, lui, ne risquerait rien en tant qu'intermédiaire et, surtout, en raison de son immunité parlementaire. Mais si les irrégularités venaient à être prouvées officiellement, les jours de Philipp Hildebrand à la tête de la BNS seraient comptés...
Victorien Kissling