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L'appellation protégée de l'absinthe est aussi critiquée en Suisse

Pour le distillateur René Wanner, limiter l'indication géographique protégée au seul terme "absinthe" est une "aberration".
Pour le distillateur René Wanner, limiter l'indication géographique protégée au seul terme "absinthe" est une "aberration".
Aux côtés de leurs homologues français et européens, des distillateurs helvétiques font recours contre la décision de limiter au Val-de-Travers (NE) l'usage de l'appellation protégée "absinthe".

Des distillateurs suisses font recours aux côtés de leurs homologues français et européens contre l'octroi de la protection de l'indication géographique de l'Absinthe au seul Val-de-Travers (NE). Plus étonnant, on trouve même parmi les recourants un Vallonnier.

Producteur à Genève et à Couvet (NE), dont il est originaire, René Wanner n'hésite pas "à se mettre dans le pétrin financièrement" pour recourir au Tribunal administratif fédéral (TAF) contre la décision de l'Office fédéral de l'agriculture (OFAG).

"Autogoal"

En ne précisant pas "Absinthe du Val-de-Travers", comme le suggèrent les recourants français, l'interprofession de cette région à l'origine de la demande d'IGP se met non seulement à dos le reste du monde, mais elle se marque un véritable autogoal, a affirmé mardi à l'ats l'artisan genevois d'adoption. La précision "Val-de-Travers" serait porteuse au niveau marketing, assure René Wanner.

Produisant également à Couvet, lui n'aurait pourtant pas de problème à respecter la décision de l'OFAG au cas où le TAF devait la confirmer. Mais c'est une question de fond. "Je me sens obligé de poursuivre mon combat", précise-t-il à l'ats, ajoutant que plusieurs artisans-distillateurs du Val-de-Travers partagent son point de vue, sans toutefois oser affronter la direction de l'interprofession.

Au moins trois autres producteurs helvétiques, et pas des moindres, ont également annoncé mardi dans un communiqué le dépôt vendredi de recours auprès du TAF: la Distillerie Morand à Martigny (VS), Absintissimo à Genève et l'absinthe Obstinée à Coffrane et Montmollin, dans le Val-de-Ruz voisin (NE).

Pas la seule région productrice

Les trois autres recourants jugent que "l'argumentation de l'OFAG selon lequel le mot absinthe ne serait pas 'devenu' générique relève de l''absurde'". Il est difficile pour un mot utilisé dans toutes les langues, notamment le français, l'allemand et l'anglais pour désigner, depuis qu'il est produit, l'alcool à base de plantes d'absinthe, en Suisse et dans le monde entier, d'être plus clairement générique et descriptif, écrivent-ils.

Et les recourants suisses d'ajouter que, même s'il en est le berceau et l'incontestable et respecté spécialiste, le Val-de-Travers n'a jamais été la seule région à produire de l'absinthe, ni en Suisse, ni dans le monde.

ats/cab

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Cinq recours à traiter

Après ceux de la Fédération française des spiritueux et de la Confédération européenne des producteurs de spiritueux, ce sont désormais au moins cinq recours que le Tribunal administratif fédéral (TAF) aura à traiter.

A la mi-août, l'Office fédéral de l'agriculture (OFAG) avait rejeté leurs oppositions en même temps qu'une quarantaine d'autres.

Il a enregistré l'Absinthe, la Fée verte et La Bleue comme IGP en arguant que "ces appellations revêtent le caractère de dénominations traditionnelles et non d'une dénomination générique.

Ces termes évoquent une eau-de-vie traditionnellement associée au Val-de-Travers (NE), région ayant fait la réputation de ce produit", ajoutait l'OFAG.

Si la décision de l'OFAG est validée, il sera impossible à tout opérateur externe au Val-de-Travers de commercialiser de l'absinthe non seulement sur le territoire suisse, mais aussi dans tout pays ayant reconnu l'IGP helvétique dans le cadre d'accords internationaux.

Le TAF n'est pas l'ultime autorité de recours. Sa décision pourra encore être attaquée au Tribunal fédéral (TF).

Une histoire mouvementée

Née à la fin du XVIIIe siècle dans le Val-de-Travers (NE), l'absinthe a très vite passé la frontière du Doubs sous la houlette d'Henri-Louis Pernod, avant de connaître la célébrité grâce à ses nombreux amateurs issus du monde des arts.

En Suisse, la Fée verte a été prohibée en 1910, dans la foulée d'un drame survenu en 1905 à Commugny (VD): un homme avait tué sa femme et ses deux enfants dans un accès de démence attribué à l'absinthe.

Si la prohibition n'a été levée qu'en 2005, de nombreuses distilleries clandestines, avant tout dans le Val-de-Travers, ont toutefois maintenu en vie la Fée verte pendant tout le XXe siècle.