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Témoins à charge contre l'ex-commandant guatémaltèque Erwin Sperisen

Affaire Erwin Sperisen : retour sur les accusations qui pèsent sur cet ancien chef de la police guatémaltèque, réfugié en Suisse depuis 2007
Retour sur les accusations qui pèsent sur cet ancien chef de la police guatémaltèque, réfugié en Suisse depuis 2007 / 19h30 / 2 min. / le 15 octobre 2012
L'ex-commandant de la police guatémaltèque Erwin Sperisen et ses avocats ont été entendus à nouveau lundi. Selon des informations de la RTS, il semble que l'assaut donné contre la prison de Pavon met directement en cause l'accusé.

Une première audience sur le fond s’est tenue lundi à Genève dans le cadre de l’affaire Erwin Sperisen. Réfugié à Genève depuis 2007, ce Suisso-Guatemaltèque est accusé d’avoir commis des exécutions extrajudiciaires alors qu’il était le chef de la police nationale civile du Guatemala.

Il s'agira pour la justice suisse de démontrer la responsabilité d’Erwin Sperisen en relation avec une douzaine d'exécutions sommaires qui ont eu lieu entre 2004 et 2007.

Une opération violente dans une prison

Yves Bertossa a déjà entendu deux témoins à charge depuis le début de la procédure qui a débuté le 31 août dernier par l’arrestation de Erwin Sperisen sur le parking d’un supermarché genevois. Soucieux de garder l’anonymat pour assurer sa protection, l’un d’eux dit avoir été le témoin oculaire d’un meurtre ordonné par Erwin Sperisen le 25 septembre 2006.

A cette date, ce dernier, appuyé par les ministres de l’Intérieur et de la Défense, lançait 3000 hommes à l’assaut de la prison Pavon. C’est dans cette prison de haute sécurité de Guatemala City qu’étaient détenus les plus dangereux criminels - on les appelle les "Reos" au Guatemala – les caïds des gangs (Mara) et du narcotrafic.

Les Reos avaient pris le contrôle de l’intérieur de la prison et les hommes de Sperisen avaient pour mission de faire régner la loi. Mais comme le montre des images que s’est procurée la RTS et surtout les photos réunies par la CICIG (la Commission pour la lutte contre l’impunité au Guatemala), l’opération s’est soldée par des violences policières et par la mort de sept détenus. D’après la CICG et les témoins que la RTS a contactés, ces détenus auraient en réalité été exécutés et la scène maquillée pour faire croire à un échange de tir. Erwin Sperisen a toujours maintenu que ses hommes agissaient en légitime défense et dans le cadre de la loi.

Témoin oculaire d'un meurtre

Selon les informations obtenues par la RTS, il existe un autre témoin clef qui n’a pas encore été entendu par la justice genevoise. Il s’agit d’un homme actuellement sous haute protection de la CICIG. Lors de la prise de Pavon, il aurait vu Erwin Sperisen et ses hommes amener un détenu - le baron de la drogue Jorge Batres - dans une maisonnette puis entendu l’homme se faire torturer et Erwin Sperisen annonçant: "Nous allons te tuer fils de pute!" Batres a été retrouvé mort dans la maisonnette.

La RTS a aussi pu interviewer par skype une femme qui affirme également détenir des éléments de preuves. La première, Claudia Samayoa, directrice d’une ONG guatemaltèque (directrice de l’Unité de protection des défenseurs des droits de l’homme) a beaucoup enquêté sur cette période et pourrait d’ailleurs venir témoigner à ce titre à Genève. Elle estime très important "qu’Erwin Sperisen ne puisse pas profiter de la double nationalité pour obtenir l’impunité" (voir encadré ci-contre).

Anne-Frédérique Widmann

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L'interview d'un témoin à charge

Claudia Samayoa, directrice de l’Unité de protection des défenseurs des droits de l’homme au Guatemala, s'est exprimée au micro de la RTS:

"Lorsque je viendrai à Genève, j’expliquerai à la justice suisse que ce qui s'est passé à Pavon n'était pas un cas isolé mais une pratique courante. Lorsque Sperisen était à la tête de la police, le nombre d’exécutions sommaires a beaucoup augmenté pour ensuite chuter après sa fuite en Suisse en 2007.

Nos enquêtes ont montré que, sous prétexte de mener la lutte contre les gangs et les délinquants, des jeunes étaient kidnappés par les forces de l’ordre, torturés et leurs corps jetés sur la voie publique.

La première fois que j'ai entendu parler des actes commis par Sperisen c'est quand un défenseur des droits de l'homme a été kidnappé par une patrouille de police. Il a clairement entendu la voix de Sperisen disant que l'opération avait été découverte et qu'ils devaient le libérer. Ce défenseur des droits de l'homme a été libéré après avoir été battu.

Nous n’avons pas été en mesure de démontrer la responsabilité directe d’Erwin Sperisen dans un meurtre mais il y a assez de preuves, à notre avis, pour prouver que les policiers exécutaient ses ordres lors de la prise des prisons de Pavon et Infiernito."

Le point de vue de l'avocat de Sperisen

Me Giorgio Campà, défenseur d’Erwin Sperisen, a donné à la RTS sa première réaction avant un entretien plus détaillé mardi.

Il précise en premier lieu que les homicides au Guatemala ont augmenté de manière constante de 2001 à 2009.

En outre, selon lui, la presse guatémaltèque a révélé plusieurs scandales de faux témoignages impliquant directement la CICIG. Une demande de vérifications lui a aussi été adressée. Et de nombreuses voix se sont élevées contre le statut de la CICIG, une entité jouissant d'une immunité au Guatemala mais aussi au sein de l'ONU à laquelle la CICIG ne serait pas rattachée juridiquement.

Enfin, Me Campà assure que plusieurs personnes ont été définitivement blanchies par la justice guatémaltèque après avoir été arrêtées et détenues durant plusieurs mois pour des accusations identiques ou similaires à celles reprochées à Erwin Sperisen.