Le 7 février 2002, Luca Mongelli, un garçonnet de 7 ans d'origine italienne, est retrouvé dans la neige, inanimé, partiellement dévêtu et en hypothermie, à proximité du domicile familial de Veysonnaz (VS). Il était sorti promener son chien avec son petit frère de 4 ans, Marco.
Après près de quatre mois de coma, Luca se réveille mais souffre de graves séquelles qui le laisseront aveugle et tétraplégique. Dans un enregistrement réalisé par ses parents, le garçon fait état d'un "monsieur" qui l'aurait "mis dans la neige". Mais ses propos sont confus.
Le témoignage de Luca, sujet à caution pour la justice
Assez tôt, les médecins légistes privilégient la thèse d'une attaque par le chien de la famille. L'animal aurait mordu et griffé l'enfant, lequel aurait enlevé ses vêtements pour tenter de se dégager.
Les pédopsychiatres qui interrogent Luca accueillent avec beaucoup de réserve son témoignage, affirmant que son environnement affectif, sa sortie du coma, sont "de nature à influencer ses réponses".
Le jeune juge d'instruction alors en charge du dossier, Yves Cottagnoud, semble lui aussi adhérer à ce scénario, causant l'indignation de l'opinion publique et l'emballement de la presse.
Plusieurs suspects sont entendus, en vain. Le 23 octobre 2002, Yves Cottagnoud cède à la pression et demande à être dessaisi du dossier. Le magistrat Nicolas Dubuis prend le relais.
Multiplication d'expertises contradictoires
Les rapports d'expertise contradictoires s'accumulent, et rendent de plus en plus difficile la recherche de la vérité. En mars 2003, la faculté de médecine vétérinaire de l'université de Lausanne ne trouve ainsi nulle trace d'ADN d'origine canine sur les vêtements de l'enfant.
Et pourtant, le 27 février 2004, sur la base d'un dossier d'instruction de près de 2000 pages, la justice valaisanne classe l'affaire. Pour elle, rien n'indique qu'une tierce personne ait été présente au moment des faits.
Amers, les parents de Luca s'engagent dans une enquête parallèle et font appel à un détective. La lecture des documents révèle que les doutes de plusieurs experts n'ont pas été pris en compte.
Le chien, coupable idéal?
Plusieurs spécialistes des canidés ont exprimé de fortes réserves quant à la culpabilité du chien. Dans son expertise, une vétérinaire juge ainsi ce scénario "abracadabrant". D'une part, parce que le chien et l'enfant étaient habitués à jouer l'un avec l'autre.
D'autre part, parce que l'animal aurait été incapable de déshabiller presque intégralement l'enfant. Par ailleurs, les chiens mordent plus qu'ils ne griffent, rappelle l'experte, dont les contre-arguments n'ont toutefois pas été versés au rapport de synthèse remis au juge d'instruction.
L'état d'hypothermie dans lequel a été retrouvé Luca laisse aussi perplexe: une heure seulement s'est écoulée entre le moment où le garçon a quitté son domicile et celui où il a été retrouvé. Nicola Mongelli, son père, a exprimé son incrédulité à ce propos sur le plateau de Zone d'Ombre (voir ci-contre à 14'50).
Les souvenirs du frère cadet
Les pédopsychiatres qui ont interrogé le frère cadet de Luca, Marco, n'ont jamais réussi à s'accorder sur le sens à donner à ses propos, eux aussi confus.
Le
15 novembre 2010
, nouveau rebondissement dans l'affaire: un dessin de Marco réalisé en 2005, qui semble accréditer la thèse d'une agression, est révélé (lire: L'affaire Luca relancée par un dessin?). Trois experts sont désignés par le Ministère public valaisan, mais deux d'entre eux sont contestés par les parents Mongelli.
Vers un mea culpa des autorités suisses?
Le 4 juin 2011, un rapport d'une sous-commission du Grand Conseil valaisan estime que l'instruction de l'affaire Luca a été "précipitée" et menée avec une "curiosité insuffisante", ouvrant la voie à une réouverture du dossier (lire: Un rapport du Parlement valaisan estime que l'instruction a été précipitée).
Enfin, le 25 janvier 2012, le Ministère public valaisan, pour la première fois, et dans une certaine mesure, lâche du lest. Tout en défendant son travail et ses conclusions incriminant le chien, il affirme, à la surprise générale, que la justice a rouvert "implicitement" le dossier depuis le 15 novembre 2010, soit la date à laquelle l'expertise du dessin de Marco, a été ordonnée (lire: La justice valaisanne dément que l'affaire soit close et fera analyser le dessin du frère).
Les conclusions de l'expertise ne sont à ce jour pas connues.
Pauline Turuban
L'Italie s'enflamme pour cette affaire
En Italie, où personne ne croit à la thèse officielle, le dossier Luca Mongelli a viré à l'affaire d'Etat. La justice valaisanne est étrillée par des spécialistes et des politiciens dans les médias.
Preuve de l'engouement populaire et médiatique, une émission phare de la Rai consacrée à l'affaire a atteint en décembre 2011 un pic de 6 millions de téléspectateurs.
Toujours fin 2011, la famille Mongelli a demandé le dessaisissement du procureur valaisan Nicolas Dubuis et l'ouverture d'une enquête officielle en Italie, soutenue par un célèbre sénateur et avocat italien.
En février 2012, la thèse de l'agression par le chien a été jugée "fantaisiste" par des experts italiens mandatés par la famille Mongelli. Dans leur rapport, ils estiment que "certaines lésions sont absolument incompatibles" avec ce type d'agression. Ces conclusions ont été transmises au Ministère italien de la justice.
Le 4 décembre 2012, une enquête pénale a finalement été ouverte à Rome. La justice italienne pencherait pour un cas de "lésions corporelles graves et de tentative de meurtre".
Le 8 janvier 2013, quatre experts italiens mandatés par la commission italienne de l'enfance ont une nouvelle fois unanimement conclu à une agression humaine. Dans leur rapport, présenté à Sion, ils demandent de nouvelles analyses ADN.