Publié

Le Tamiflu, un médicament en voie de disparition en Suisse

La prescription du Tamiflu diffère grandement selon les continents. [Sakchai Lalit]
La prescription du Tamiflu diffère grandement selon les continents. - [Sakchai Lalit]
Alors que la grippe saisonnière gagne du terrain, les prescriptions de Tamiflu, cet antiviral développé par Roche, sont devenues marginales en Suisse. Au contraire, le Canada annonce qu'il va puiser dans ses réserves. Le point sur l'usage de ce médicament très controversé.

En 2009, les réserves de la Confédération, des cantons et des pharmacies étaient pleines de Tamiflu, l'antiviral de Roche recommandé par l'OMS (Organisation mondiale de la Santé) pour lutter contre la grippe H1N1.

Aujourd'hui, la plupart de ces doses ont été détruites et nombreuses sont les pharmacies qui n'ont carrément plus aucune boîte de Tamiflu en stock. Dans les hôpitaux aussi, la prescription est marginale: une trentaine de patients traités au CHUV à Lausanne en 2012 et quelques dizaines aux HUG de Genève chaque année. Dans le canton de Fribourg, les pharmacies publiques et d'hôpitaux détiennent moins d'une centaine de boîtes au total.

Aussi contre la grippe saisonnière

Le médecin cantonal délégué Philippe Sudre confirme que le canton de Genève ne dispose plus de stock. "En 2009, nous avions déjà beaucoup hésité à acheter du Tamiflu mais il y avait beaucoup de pression". Le canton avait alors acquis 900 boîtes, détruites depuis pour cause de péremption.

Maintenant que le risque du H1N1 est loin, le Tamiflu peut être administré contre la grippe saisonnière, comme c'est le cas en Asie et en Amérique du Nord. Il est alors censé éviter les complications pour les personnes à risques et réduire d'un ou deux jours la période de maladie pour les personnes bien portantes.

Efficacité "pas phénoménale"

En Suisse en revanche, la prescription du Tamiflu est marginale car "son efficacité n'est pas phénoménale", précise le Dr. Philippe Sudre. Il est plutôt réservé aux personnes à risques, tels que les enfants, les aînés et les malades chroniques, car il éviterait les complications.

Autres désavantages: il doit être administré très tôt, il peut provoquer des effets secondaires et n'est pas remboursé par l'assurance de base. Selon un rapide sondage, plusieurs pharmacies genevoises ont d'ailleurs confirmé ne plus en avoir de stock. Certaines n'ont plus vendu de Tamiflu depuis 2009, année de la grippe AH1N1.

Une trentaine de cas par an et par canton

Aux HUG à Genève, qui comptent 1900 lits, quelques dizaines de traitements seulement sont administrés chaque année, toujours pour des personnes fragiles avec une grippe avérée. Au CHUV à Lausanne, moins d'une trentaine de patients ont reçu du Tamiflu ces trois dernières années, contre 282 patients en 2009, indique le pharmacien-chef, le Prof. André Pannatier.

Dans le canton de Fribourg, il s'avère que les pharmacies publiques et celles des hôpitaux ne disposent que d'une centaine de traitements, en raison du faible nombre de prescriptions, indique le pharmacien cantonal Laurent Médioni. Les responsables interrogés précisent que si une situation de crise devait intervenir, il faudrait avoir recours aux réserves de la Confédération.

Pratiques contraires hors d'Europe

Outre-Atlantique et en Asie au contraire, l'usage du Tamiflu est plus répandu. Pour preuve, le Canada, qui fait face à une importante vague de grippe, a annoncé le 8 janvier qu'il devait puiser dans ses réserves afin d'éviter une pénurie de Tamiflu en cas d'épidémie. Il s'agit d'une mesure exceptionnelle dans l'attente d'un nouvel arrivage, attendu en février, ont indiqué les autorités.

Aux Etats-Unis, également touchés par l'épidémie, une partie de patients qui consultent demandent à être traités avec l'antiviral afin de raccourcir le temps de maladie. Et le Tamiflu a encore de beaux jours devant lui. Fin 2012, la Food and Drug Administration a autorisé l'utilisation du médicament pour lutter contre la grippe aiguë chez le nourrisson de plus de deux semaines. Il devient ainsi le seul antiviral autorisé chez les patients de tous les âges.

Frilosité, voire défiance

Comment expliquer ces approches différentes? "Difficile à dire, selon le docteur en biologie Yves Thomas du Centre national de référence de l'Influenza. "Il s'agit peut-être d'une différence de culture et d'approche de la maladie". Plusieurs responsables interrogés soulignent que le Tamiflu provoque une certaine frilosité, voire de la défiance, en Europe et en Suisse, où son efficacité limitée et ses effets secondaires font débat.

De plus, la prévention contre la grippe en Suisse passe par la vaccination, et non par des antiviraux, explique le pharmacien cantonal genevois Christian Robert. D'autres font le choix du Tamiflu, par exemple certains pays asiatiques où il est difficile d'organiser des campagnes de vaccination.

Selon Roche, "plus de 90 millions de personnes dans le monde, originaires de plus de 80 pays, ont reçu du Tamiflu sur prescription médicale pour le traitement ou la prévention d'une infection grippale". En 2009, le médicament a rapporté 3,2 milliards de francs dans les caisses du groupe helvétique. Un an plus tard, ce chiffre est tombé à 873 millions. Mais au total, les estimations évoquent 12 milliards pour Roche sur les dix dernières années.

A lire également: La grippe dépasse le seuil épidémique en Suisse au début janvier

Cécile Rais

Publié

Des doutes, encore et toujours

Le Tamiflu a fait parler de lui récemment en raison du refus de Roche de publier les données des études sur le médicament.

Un groupe de chercheurs a réalisé une synthèse (voir le lien externe ci-dessous) de tous les publications portant sur le Tamiflu.

En voici le résumé:

1. Les seuls essais cliniques ont été financés par Roche et 60% des données n'ont jamais été publiées.

2. Les essais publiés ne démontrent pas d'effet bénéfice clair après la prise de Tamiflu.

3. Les essais ne montrent pas non plus que ce médicament réduit les complications.

4. Les essais ne montrent pas que la contagion est réduite.

5. Les essais montrent que le Tamiflu diminue les symptômes d'un jour seulement.

Histoire du Tamiflu

Développé au milieu des années 1990 par le laboratoire Gilead Science, le Tamiflu est racheté par Roche.

Avant les alarmes de 2005 et 2009, le médicament était principalement écoulé au Japon, comme remède contre la grippe saisonnière.

C'est aussi dans ce pays que de nombreux cas d'effets secondaires supposés sont recensés (état suicidaire, hallucinations,...). Par précaution, le gouvernement japonais a décidé d'interdire la prescription de Tamiflu pour les jeunes de 10 à 19 ans.

Le grand public le découvre en 2005 quand l'OMS inclut son médicament dans son plan de luttre contre la grippe aviaire.

Mais c'est en 2009 que le médicament décolle vraiment, lorsque l'OMS qualifie de grippe H1N1 de situation de "pandémie".

Les pays font alors des réserves importantes de Tamiflu, faisant décoller les ventes. On évoque le chiffre de 400 milliards de francs. La Confédération avait acheté 150'000 boîtes pour un coût de 4 millions de francs.

En Suisse, une vingtaine de personnes ont perdu la vie suite à la grippe H1N1, alors que la grippe saisonnière fait en moyenne entre 400 et 1000 victimes par année.