Des données internes de la Société Générale Private Banking Suisse, notamment des emails de collaborateurs, sont aujourd'hui entre les mains de la justice américaine et la Suisse réduite à en demander le non-usage. Selon une enquête de la RTS, l'Office fédéral de la justice (OFJ) a transmis ces informations en mars 2012 au département américain de la Justice. Il a été épinglé pour cela dans un récent arrêt du Tribunal pénal fédéral (TPF).
La Société Générale tenue à l'écart
Quatre classeurs de documents, sur les 23 transmis par l'OFJ, sont au cœur du problème. Ils contiennent des emails de collaborateurs, des archives de contrôle interne et d'autres documents relevant du fonctionnement interne de la Société Générale en Suisse, des documents sur l'envoi desquels la banque aurait du pouvoir se prononcer. Or la Société Générale n'a pas été invitée à se prononcer ni à participer au tri des classeurs - une séance à laquelle ont pourtant pu prendre part des fonctionnaires américains dans les locaux de l'OFJ à Berne.
L'office a considéré en substance que l'accord donné pour un premier envoi de classeurs intervenu en 2009, concernant un client de la banque, suffisait pour honorer la demande complémentaire américaine. Cela n'aurait pas posé de problème si les documents en question avaient - comme les précédents - concerné uniquement les données de ce client. Mais il s'agissait cette fois de documents portant sur le fonctionnement interne de la banque.
Le TPF donne tort à l'OFJ
Le verdict du Tribunal pénal fédéral est clair: ces documents-là ne devaient pas être transmis sans accord de la Société générale. Celle-ci a donc gagné son recours contre l'OFJ, comme l'expose l'arrêt du TPF daté du 12 décembre 2012. Mais le mal est fait puisque les documents sont aujourd'hui entre les mains de la Justice américaine.
L'Office fédéral de la justice a envoyé à Washington une demande officielle de non-utilisation de ces documents, conformément à l'injonction du TPF, mais les juges et procureurs américains se sont montrés peu soucieux ces dernières années du respect de l'ordre juridique suisse. Malgré le devoir de respect mutuel du traité Suisse-USA évoqué par Berne, on ne peut donc pas exclure que ces documents soient utilisés comme informations de base ouvrant à d'autres enquêtes.
La Société générale n'a pas souhaité pour l'heure commenter ces informations.
Pascal Jeannerat/oang
Un Américain à l'origine de l'affaire
A la base, la demande d'information des Etats-Unis à la Société Générale en Suisse portait sur l'un de ses clients, Allen Stanford, condamné l’an dernier aux Etats-Unis à 110 ans de prison pour escroquerie. L’homme, surnommé le petit Madoff, a laissé derrière lui un trou de sept milliard de dollars après avoir monté un système similaire à celui de Bernard Madoff.
La Société générale Private banking Suisse fait d'ailleurs l'objet, comme plusieurs autres banques dans le monde, d'une "class action" lancée par les clients lésés d'Allen Stanford. Dans cette plainte groupée, qui est une action civile, les documents suisses ne pourront en principe pas être utilisés puisque Berne avait prévenu Washington sur ce point. Mais là encore, il n'y a aucune garantie de non-utilisation de ces documents.