Depuis l'arrivée de son premier pensionnaire lundi, le centre pour requérants d’asile de Bremgarten (AG) a fait couler beaucoup d'encre. Au coeur de l'affaire, les zones d'exclusion dont font l'objet les résidents (leur nombre s'élève pour l'heure à 23, sur une capacité de 150).
Mardi, le Tages-Anzeiger révélait l'existence d'un accord conclu entre la commune argovienne, l'Office fédéral des migrations (ODM) et le Département fédéral de la défense (DDPS). "Presque la moitié de la ville est taboue", titrait le quotidien alémanique, évoquant 32 zones où les requérants sont jugés indésirables: infrastructures scolaires et sportives, piscine publique, casino, mais aussi parvis d’églises et EMS.
Rectifier le tir
Depuis la parution de cet article, les autorités ont tenté à plusieurs reprises de rectifier le tir. Le directeur de l'ODM Mario Gattiker a assuré que seuls les écoles et les alentours d'installations sportives étaient concernés, et a précisé en outre qu'aucune sanction n'était prévue en cas de non-respect des règles par les requérants.
Vendredi encore, la ministre de la Justice Simonetta Sommaruga a dû s'expliquer (lire Simonetta Sommaruga clarifie la situation des requérants de Bremgarten), et l'ODM a publié le document complet sur son site.
Mais plutôt que de désenfler, la polémique semble prendre de l'ampleur. Dans le sillage des partis de gauche et des organisations de défense des droits de l'Homme telles que Human Rights Watch, la presse étrangère et les internautes se sont emparés de l'affaire.
"Apartheid" et "ségrégation"
Outre-Manche
, les justifications de l'ODM n'ont pas eu d'écho à en croire le ton acerbe des titres. Le quotidien britannique The Independent (centre-gauche) n'hésite ainsi pas à parler de "restrictions proches de l'Apartheid", tandis que son confrère The Telegraph (droite modérée) évoque une forme de "ségrégation".
La correspondante de la BBC à Genève, Imogen Foulkes, tente d'apporter des éléments d'explication. Pour elle, "cette polémique reflète le malaise croissant des électeurs face au nombre de requérants d'asile en Suisse, l'un des plus élevés par habitant en Europe". Une analyse partagée par The Independent, qui rappelle que la Suisse accueille un requérant pour 332 habitants, alors que ce ratio est de un pour 625 dans le reste de l'Europe.
Des mesures exceptionnelles deviennent "la norme"
Le magazine allemand Der Spiegel (centre-gauche) s'inquiète quant à lui des dérives potentielles de ce type de mesures. "D'un point de vue légal, ces règles qui limitent la liberté de mouvement sont discutables", note-t-il. "Pourtant, poursuit l'hebdomadaire, la police suisse s'y refère de plus en plus souvent pour maintenir des 'personnes à problèmes' éloignées de certains lieux (...). Ces mesures exceptionnelles sont en train de devenir la norme."
Et d'évoquer l'ouverture prochaine d'un autre centre pour requérants d'asile à Alpnach (OW): "Il y aura aussi des zones d'exclusion (...). Les requérants devront rester cantonnés dans un petit bois avoisinant."
"Suisse raciste"
Très ancré à gauche, le quotidien berlinois Tageszeitung s'autorise à ironiser sur les motivations de la mesure: "les Suisses aimeraient bien ne pas être dérangés par des requérants d'asile pendant leur baignade".
Toutefois, la question semble dépasser les orientations politiques des journaux, puisque les critiques les plus virulentes sont à lire dans le magazine conservateur italien Panorama. Dans un article au vitriol, la Suisse est qualifiée de pays "raciste", qui "ghettoïse les réfugiés" et où "la ségrégation est déjà une réalité".
Pauline Turuban
Les tweets sur le sujet
Réactions scandalisées sur Twitter
Toujours prompts à réagir, les usagers du site de micro-blogging Twitter ont eux aussi parlé de "ségrégation" et d'"apartheid", dès les prémisses de la polémique.
La Suisse y est la cible de commentaires acides et souvent gratifiée d'un "WTF" ("N'importe quoi").
Les twittos voient notamment un décalage entre l'image de carte postale de la Suisse, pays du chocolat et, surtout, du Haut commissariat aux réfugiés, et la sévérité de cette réglementation.