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"Ce n'est pas normal qu'un salarié à 100% doive se rendre à l'aide sociale"

Chantal Hayoz
Chantal Hayoz lors du lancement de la campagne à Berne.
Secrétaire centrale du syndicat interprofessionnel Syna, Chantal Hayoz milite pour l'introduction d'un salaire minimum de 4000 francs en Suisse, en votation le 18 mai prochain. Son interview.

RTSinfo: En quoi le système actuel de négociation des salaires par branche, via les CCT, est-il inadéquat?

Chantal Hayoz: Tout simplement parce qu'il y a plus de la moitié des salariés en Suisse qui ne sont pas touchés par les conventions collectives de travail. Ils n’ont donc pas accès à un salaire minimum garanti. Chaque année, nous entamons des négociations pour les salaires en fonction du coût de la vie, et aussi en fonction d’éléments économiques, selon les entreprises.

Mais est-ce à l'Etat d’intervenir dans les rapports entre employeurs et employés?

Chantal Hayoz: Malheureusement, un certain nombre d’employeurs en Suisse ne veulent pas du partenariat social. Si tous les employeurs jouaient le jeu, nous n’aurions pas besoin de passer par la Constitution fédérale pour fixer un salaire minimum. En fixant un plancher à 4000 francs, c’est toute l’économie qui va en bénéficier. Un tel salaire passe directement dans la consommation (nourriture, habillement, etc). Je dirais même que cela va créer des emplois. Et puis, l’aide sociale économisera environ 100 millions de francs, en déboursant moins pour les "working poors" qui ne parviennent pas à vivre de leur salaire.

Prenons l'exemple d’un employé rémunéré à 3400 francs par mois à 100% (minimum dans la CCT de l'hôtellerie-restauration). Pensez-vous qu'une augmentation mensuelle de 600 francs pourra être supportée par n'importe quelle entreprise?

Chantal Hayoz: Oui, je pense. Il y a des employeurs qui versent déjà aujourd'hui des salaires de plus de 4000 francs par mois. Ce n'est pas parce qu'une convention collective de travail fixe un minimum, que l'employeur se tient à ce salaire-là. Il sait que la motivation, ainsi que la bonne qualité du travail, dépendent aussi des salaires. Ceux qui ont compris cela versent des salaires plus importants. Un salarié motivé est plus rentable.

Mais ne craignez-vous pas une vague de licenciements au sein des sociétés les plus fragiles financièrement?

Chantal Hayoz: Ce ne sont pas des entreprises fragiles, ce sont plutôt des employeurs plus médiocres que les autres. Gérer une entreprise implique la responsabilité de verser des salaires qui permettent aux employés de vivre. Ce n'est pas normal qu'un salarié à 100% doive se rendre à l'aide sociale. Par expérience, je peux vous dire que les entreprises qui sont soumises à des conventions collectives n’ont pas des difficultés à cause des salaires minimaux. Nous avons donc la preuve que cela ne crée pas de chômage, contrairement à ce qu'avancent les opposants.

Les opposants évoquent un encouragement au travail au noir. Qu'en pensez-vous?

Chantal Hayoz: Ce ne sont que des théories. Je ne pense pas qu'il soit normal que l’on prive les Suisses de salaires décents parce qu'on a peur qu'il y ait plus de travail au noir. C'est quand même scandaleux d’en arriver là! Et en fixant un salaire minimal, il y aura une référence pour tout le monde. Aujourd'hui, un salarié qui vient de l'étranger par exemple n’a pas de référence s'il n’est pas soumis à une convention collective. Cela contribuerait même à baisser le travail au noir parce que l'employé refuserait d'être payé moins.

En France, le Smic est de 1430 euros (soit 1740 francs). En instaurant un salaire minimum à 4000 francs, certains y voient une sorte d'appât à travailleurs étrangers...

Chantal Hayoz: Jusqu'à présent, certains employeurs engageaient de la main-d'œuvre étrangère parce qu'ils pouvaient jouer sur les salaires. Avec un minimum, ils ne pourront plus jouer. Qu'il s’agisse d’un travailleur suisse, ou d’un étranger, ils gagneront chacun le salaire qui est prévu en Suisse. Et si l'on refuse de fixer un salaire minimum pour ne pas attirer la main-d'œuvre étrangère, cela veut dire, encore une fois, que l'on prive les Suisses de salaires décents. Et ça, ce n’est pas normal.

Avec un poids salarial plus important, des patrons pourraient aussi être tentés de s'établir hors de Suisse…

Chantal Hayoz: La crainte de la délocalisation brandie par les opposants ne s'appuie sur aucune preuve. Il y a même des entreprises qui reviennent en Suisse pour la qualité du travail dans notre pays. Le choix de s'implanter dans une région dépend de bien d’autres facteurs que le niveau de salaires.

Alors que le coût de la vie n'est pas le même à Genève, à Sion ou à Lugano, jugez-vous équitable d’instaurer un salaire minimum identique pour toutes les régions?

Chantal Hayoz: Oui, parce qu'il s’agit d’un minimum. Et pour les régions qui versent déjà des salaires plus importants, elles pourront aller au-delà des 4000 francs. Pour moi, le salaire minimum, c’est une meilleure répartition du produit du travail. Certains employeurs devront peut-être réduire leur marge, pour que leurs employés puissent vivre décemment. Et quand on parle de pauvreté, on sait que c’est souvent les femmes qui se retrouvent avec les plus bas salaires. En fixant un plancher, cela permettrait aux femmes d’obtenir un peu plus d'égalité. Toute la société y gagnerait.

Propos recueillis par Mélanie Ohayon

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La votation en bref

Lancée par l'Union syndicale suisse et d'Unia, l'initiative populaire "Pour la protection de salaires équitables" réclame un salaire minimum de 22 francs de l'heure pour chaque employé du pays, soit 4000 francs pour un revenu mensuel à plein temps.

Pour les syndicats, tout le monde sera gagnant si le texte est accepté: les patrons, qui verseront des salaires décents et n'auront pas à craindre une concurrence déloyale, tout comme les contribuables, qui n'auront plus à régler l’addition via l’aide sociale.

Le Conseil fédéral, tout comme le Parlement, rejette cette initiative, de même que les partis de droite. Pour le ministre en charge de l'Economie Johann Schneider-Ammann, un salaire minimum aurait des conséquences néfastes à la fois sur le marché du travail et sur le partenariat social.

Le salaire minimum demandé par l’initiative serait le plus élevé du monde, il menacerait les emplois et rendrait plus difficile l’accès au monde du travail pour les peu qualifiés et les jeunes, estime le gouvernement. Les opposants dénoncent aussi un coût de la vie différent à travers le pays et donc peu cohérent avec un salaire minimum nationalisé.