RTSinfo: Pourquoi soutenir l’initiative interdisant le travail des pédophiles avec des enfants?
Christophe Darbellay: Cela relève du bon sens le plus élémentaire et du principe de précaution. Les pédophiles ayant commis un abus d’ordre sexuel sur des enfants ne doivent plus être autorisées à exercer une activité professionnelle ou bénévole avec des enfants.
Vous n'envisagez pas de "deuxième chance" pour ce genre de délinquants?
La pédophilie est une maladie où les récidives sont malheureusement fréquentes. Il n’y a pas de «guérison» possible, il est donc primordial de protéger le plus possible les victimes potentielles et les enfants. Quand je pose la question autour de moi, personne n’a encore répondu "oui" à la question: accepteriez-vous que votre enfant soit confié à un enseignant ou à un moniteur de sport qui est un pédocriminel condamné?
Quid des droits de la personne adulte, du pédophile, une fois la peine purgée, à se réinsérer, à mener une vie professionnelle épanouissante?
La seule chose qui lui est interdit, c'est d'exercer une activité en lien avec des enfants. Il reste pour autant des milliers d'autres métiers que ces personnes peuvent exercer. Encore une fois, il s’agit de bon sens: prenons l'exemple d'un corps de pompiers ou d'une banque. Le premier engagerait-il comme commandant un pyromane condamné, et la seconde comme directeur un homme coupable de détournement de fonds?
Le principe de proportionnalité est-il respecté dans cette mesure?
Avec la meilleure volonté du monde, je ne vois pas en quoi cette limitation serait disproportionnée. Nos opposants se cachent derrière des arguties juridiques. Non seulement les droits humains sont respectés, mais également ceux des enfants, à qui la Constitution garantit une protection supérieure.
Vous pensez que ce n'est pas suffisamment le cas actuellement?
Depuis la première initiative parlementaire que j’avais lancée sur le même sujet, il aura fallu plus de dix ans pour aboutir à une modification de la loi. C’est dire à quel point d'aucuns se sont préoccupés davantage du sort des pédocriminels plutôt que de celui des victimes qui, elles, ont rarement une deuxième chance.
Et les amours de jeunesse, par exemple un jeune de 19 ayant une relation avec une fille de 15 ans? Ces jeunes pourraient-ils être punis jusqu’à la fin de leur vie?
Les amours d’adolescents ne sont pas concernées par l’initiative. Le Comité d’initiative l’a toujours signalé très clairement. L’âge de protection des adolescents est de 16 ans. Dans la pratique il est extrêmement rare qu’une telle relation débouche sur plainte pénale et une condamnation, sauf s’il s’agit d’une relation non consentie ou d’une relation de dépendance entre un prof et son élève.
Ce sont donc des cas-limites, rares, mais ils existent.
Si l’initiative est acceptée, l’ordonnance d’application devra aborder ces cas-limites avec pragmatisme. Toutefois, l’écrasante majorité des abuseurs concernés par l’initiative ne sont pas des adolescents: je trouve donc malhonnête la part de l'opposition de baser son argumentaire sur une petite minorité, au mépris de l’écrasante majorité des cas et des victimes.
Pourquoi ne pas tabler davantage sur la détection, le «dépistage» de tendances chez les professionnels travaillant avec des enfants, plutôt que sur des mesures a posteriori?
Je soutiens toute mesure de prévention, de dépistage, de sensibilisation et d’information. L’initiative n’est évidemment pas la seule mesure nécessaire. Et tant mieux si elle permet de sensibiliser et d'anticiper sur la question de la protection des enfants.
Une modification de la loi votée par le Parlement doit entrer en vigueur en janvier prochain sur ces questions-là. Votre initiative ne sera-t-elle pas redondante?
Pas du tout. Cette loi est un projet distinct de notre initiative, pas son contre-projet. Et pour nous, elle ne va pas assez loin sur deux points. Premièrement, elle prévoit d’interdire au pédophile condamné d’exercer avec des enfants pendant 10 ans. Insuffisant: le risque de récidive est réel.
Et deuxièmement?
Ne seraient concernées que les personnes condamnées à des peines d’au moins six mois. Or des peines plus courtes couvrent toute une série de délits (téléchargement d’images de pédopornographie dure, attouchements et autres abus sans viol à proprement parler) qui sont loin d’être anodins. Je ne veux pas voir ces personnes dans une école. C’est tout.
Le sujet est très émotionnel, la gauche par exemple s’est distancée de l’initiative, et vous-même êtes isolé de votre parti.
A mon avis, le parti de la famille se doit de défendre les enfants. J’avoue ne pas comprendre la montée en puissance récente d’une armée de juristes, qui coupent les cheveux en quatre au lieu de s’attacher à l’essentiel: on ne porte pas atteinte impunément à l’innocence des enfants.
Propos recueillis par Katharina Kubicek
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L'initiative en bref
Les Suisses sont appelés, le 18 mai prochain, à se prononcer sur l'initiative de la Marche blanche visant à interdire à vie aux pédophiles condamnés de travailler avec des enfants.
Lancée par l'association Marche blanche, le texte vise les pédocrimininels, mais également les personnes coupables d'abus sexuels sur une personne dépendante. La mesure concerne les activités professionnelles ainsi que bénévoles.
La pédophilie n'étant pas guérissable, selon les initiants, la protection des enfants passe avant les intérêts des agresseurs. Ils estiment la mesure proportionnée, et rappellent que des sanctions similaires existent dans d'autres professions (médecins, avocats).
Le Conseil fédéral a appelé à rejeter cette initiative. Le Parlement n'a pas donné de mot d'ordre, les deux Chambres n'ayant pu se mettre d'accord.
La principale critique avancée contre l'initiative de la Marche blanche est sa nature anticonstitutionnelle. D'autres se sont opposés au fond du projet, le jugeant imprécis, disproportionné et superflu. Superflu, car une révision de la loi entrera en effet en vigueur en janvier 2015, plus complète que l'initiative selon la ministre de la Justice Simonetta Sommaruga.
L'UDC et le PBD ont été seuls à se prononcer pour le "oui". PS, PLR, PDC et Verts préconisent le "non".