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"Avec cette taxe, nous prenons un risque potentiellement suicidaire"

Frédéric Borloz. [Keystone - Yannick Bailly]
Frédéric Borloz, président du PLR vaudois. - [Keystone - Yannick Bailly]
Frédéric Borloz, président du PLR vaudois, député et syndic, s’oppose à l'initiative des Vert'libéraux visant à remplacer la TVA par une taxe énergétique, la jugeant "dangereuse" pour l’économie.

RTSinfo: Estimez-vous pensable de remplacer la taxe sur la valeur ajoutée par une taxe sur l’énergie?

Frédéric Borloz: Non, un tel changement dans le mode de perception fiscale est un poids insupportable sur l’économie. Cela revient au même que si on choisissait d’abolir d'un coup le principe de la proportionnalité de l’impôt et de le remplacer par la perception d’une taxe uniforme sur l’ensemble des contribuables. Charger l’instrument industriel d’une telle taxe aurait des conséquences extrêmement néfastes.

A quel type de conséquences sur l'industrie pensez-vous?

Ce changement augmenterait notamment les coûts de production et rendrait les produits suisses encore moins compétitifs à l’exportation. Il faut rappeler que les initiants veulent remplacer l’ensemble de la TVA par une nouvelle taxe, avec une bascule brutale du mode de perception. Si la nouvelle taxe sur l’énergie visait à remplacer par exemple un demi-point de la TVA, ce pourrait être envisageable, puisque ça atténuerait la brutalité de la mesure. Je ne dis toutefois pas que c’est forcément la solution à utiliser pour inciter au changement de mode de consommation de l'énergie en Suisse!

Que pensez-vous de l’effet incitatif d’une telle taxe sur l’énergie sur la consommation d’énergie fossile par la population?

Comme l’introduction de la taxe sur l’énergie est compensée mécaniquement par une baisse des prix due à la suppression de la TVA, l’effet reste relativement inexistant: des prix augmentent, d’autres diminuent. Un autre problème se pose en Suisse: 30% de la population vit assez proche d’une frontière pour envisager d’aller faire ses achats à l’étranger. Si 30% de la population arrêtait d'acheter en Suisse des produits agricoles ou manufacturés, mais aussi des carburants, cela représenterait évidemment aussi un manque à gagner sur la taxe sur l’énergie.

Quel moyen vous semblerait plus adapté pour inciter la population à remplacer la consommation d’énergie fossile par des énergies renouvelables?

L’introduction de taxes ciblées, par exemple sur l’essence ou sur le CO2, pourrait tout à fait être envisagée afin de financer notamment les charges liées à l’entretien du réseau routier ou les coûts liés à l’automobile, mais sans arriver à un changement aussi massif et violent du mode de perception fiscale. Il est possible d’envisager des taxes  pénalisantes pour «punir» l’emploi de certains types d’énergies, ou alors incitatives, pour encourager l’utilisation d’énergies, notamment renouvelables.

Et que dire de l'impact de la taxe sur l'énergie sur les échanges internationaux de l'économie suisse?

Il faut rester prudent dans la mise en place de nouvelles taxes qui pourraient avoir un impact sur notre économie largement tournée vers l’exportation, à plus forte raison au moment où le franc fort la pénalise déjà. Avec cette taxe et ses effets quasi invérifiables, nous prenons un risque potentiellement suicidaire.

Lequel?

On risque la fermeture des plus petites entreprises et la délocalisation des plus grandes, dans les pays voisins ou dans les pays émergents. La Suisse va dans l’ensemble bien. Son système politique et économique est équilibré et reste un modèle pour d’autres pays. Pourtant, dans un même temps, la Suisse veut démanteler ce qui fait son succès, avec des initiatives telles que celle du 9 février ou cette taxe sur l’énergie et cela est complètement paradoxal.

Pour les initiants, la taxe sur l’énergie est plus juste que la TVA et elle permettrait de réduire les frais administratifs des PME...

Ce n'est absolument pas le cas! Pour les PME, la TVA n’est vraiment pas un problème. La plupart des opérations sont réglées automatiquement par les systèmes de comptabilité. Seules quelques opérations nécessitent du personnel, et pour le reste, une fiduciaire vérifie les comptes. Pour un indépendant, c’est encore plus simple: il se contente de regarder deux fois par année ce qu’il a gagné, il applique sur la somme un taux qu’il a reçu par la poste, et le tour est joué, sans complexité.

Que pensez-vous de la stratégie énergétique 2050 du Conseil fédéral?

Je lui jette d'abord un regard négatif. Je pense que la stratégie fédérale a du mal à tenir compte de l'utilisation à long terme des énergies. Un exemple avec le nucléaire: je pense que la gestion des déchets à long terme est actuellement un problème. Par contre, d’ici 2050, le problème des déchets sera peut-être réglé et alors le changement imposé par la stratégie énergétique 2050 aura complètement figé notre rapport à un mode de production qui serait redevenu acceptable entre temps.

Ensuite, j'en constate l’aspect positif: grâce à la stratégie du Conseil fédéral, on contribue au développement de nombreuses formes d’énergies renouvelables et par conséquence au développement d’un nouveau secteur économique, ce qui est réjouissant pour notre économie.

>> Lire aussi l'interview de Laurent Seydoux (Vert'libéraux/GE) : "L'initiative apporte une solution à la transition énergétique"

Propos recueillis par Eric Butticaz

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