Escroquerie à l'assurance, sous-location sauvage ou recherche de personnes disparues: les mandats des détectives privés ont beaucoup évolué depuis que la nouvelle loi sur le divorce, entrée en vigueur en 2000, n'exige plus de preuve d'adultère pour entamer une procédure.
Bon nombre de sociétés - assurances, régies, avocats, employeurs - font aujourd'hui appel à des détectives privés pour obtenir des informations sur des tiers. En 2012, on dénombrait en Suisse pas moins de 781 entreprises d"'enquête et sécurité", selon les chiffres de l'Office fédéral de la statistique. Parmi elles, 671 comptent moins de 10 employés et fournissent des services de détectives privés, de qualité très variable.
La Suisse est en effet l'un des derniers pays européens pour lequel aucun cadre légal ne régit la profession de détective privé. Il n'y a donc pas de contrôle, ni de formation reconnue par l'Etat pour aborder un métier difficile, trop souvent idéalisé par les jeunes.
Badge dans un paquet surprise
En Suisse romande, seuls les cantons de Genève et Neuchâtel délivrent de "véritables" licences de détectives privés avec badge agréé par le Conseil d'Etat. Seul problème: ce badge, de plus en plus convoité car il représente un gage de qualité, ne donne en réalité aucune garantie sur la qualité du travail ou la formation du détective privé. Et encore moins sur le fait qu'il respectera les lois lors de ses enquêtes.
Comme le démontre l'émission Temps Présent diffusée jeudi, il suffit d'un extrait de casier judiciaire, d'une attestation de non-poursuite et d'un certificat de bonnes moeurs pour que le journaliste reçoive dans sa boîte aux lettres sa carte officielle de détective.
L'autorisation genevoise favorise même un véritable appel d'air, avec un nombre d'autorisations délivrées à Genève qui est passé de 136 en 2005 à 255 en 2015.
"Le 80% des individus qui s'inscrivent à Genève n'y travaillent pas", témoigne à RTSinfo Christian Sideris, patron de CS Enquêtes à Genève, une agence de détectives active depuis 1996. "On se connaît tous dans la profession. Le badge est un gage de confiance, autant pour le client que pour la police qui peut en venir à contrôler un détective en planque depuis 15 heures dans sa voiture. Présenter le badge vous évite un contrôle approfondi qui peut vous faire rater votre filature".
Nicolas Bolle, secrétaire général adjoint au Département de la sécurité et de l'économie à Genève, qui délivre le sésame, s'en explique à Temps Présent: " On va déjà plus loin que d'autres cantons qui n'ont strictement rien. On peut au moins retirer cette carte au détective qui ne respecte pas la loi".
Pour Christian Sideris, il ne faudrait pas que l'autorisation soit délivrée à vie: "L'Etat devrait demander un renouvellement ponctuel du badge, tous les deux ou trois ans et mettre en place une cotisation pour conserver sa licence. Cela découragerait les gens pas sérieux", estime-t-il.
Peu de formation en droit
Si le badge ne garantit pas un contrôle de la qualité du travail fourni ou des individus qui peuvent l'obtenir, il n'existe pas non plus de véritable formation homologuée. En Suisse romande, trois écoles privées de détective existent mais elles proposent des cours lacunaires, en partie par correspondance et sur le terrain, et parfois avec très peu de notions de droit, pourtant essentielles afin de savoir ce qui est légal ou non pour un détective.
Ce n'est par exemple pas le cas en France, qui délivre depuis 2006, un certificat d'Etat obligeant à une formation en droit.
Les cours de droit, on les survole. Il n'y a pas grand-chose à voir vu que le Conseil fédéral n'a pas statué.
Christian Sideris déplore cette manière de voir. "Un métier ça ne peut pas s'apprendre par correspondance. C'est 6 à 8 mois à temps plein sur le terrain, avec des cours de droit". Selon lui, la meilleure formation est encore de s'inscrire à l'école de police judiciaire et de travailler dans le privé plus tard, après plusieurs années d'expérience sur le terrain.
Atteintes à la sphère privée et arnaques
Sans possibilité de contrôle sur la formation des détectives et leurs compétences réelles, et avec l'explosion du nombre d'agences de détectives à Genève, le risque de dérapage est sérieux.
"Des risques d'atteintes à la sphère privée se présentent. Si vous coupez les cheveux, vous avez besoin d'un CFC, mais si vous espionnez quelqu'un pour savoir s'il vit en concubinage, vous n'avez besoin d'aucune connaissance juridique", commente Sylvie Fischer, juriste et journaliste, dans l'émission Temps Présent.
Christian Sideris parle pour sa part de cas de surfacturation, mais qui restent difficiles à prouver. Il insiste aussi sur l'importance d'établir des garde-fous avec des tests et des examens.
"Les personnes à la limite de l'escroquerie se font vite repérer, vous savez. Peut-être que dans 15 ans, on sera 650 détectives privés enregistrés à Genève, mais il y a beaucoup de gens inactifs dans ce registre. Ils ne reçoivent qu'un coup de téléphone tous les 6 mois. Vivre de ce métier, c'est éprouvant physiquement, socialement et familialement. Ceux qui sont juste là pour profiter de l'appel d'air ne dureront pas longtemps".
>> Plus d'informations dans l'émission de Temps Présent diffusée à 20h10 jeudi sur RTS Un
Sophie Badoux et Christophe Ungar
Nouveau concordat en Suisse alémanique et au Tessin
Si un concordat romand, édicté par la Conférence des directeurs des départements latins de justice et police, existe depuis 2006, il ne concerne que l'activité des agences et non pas des individus. Huit cantons alémaniques (AI, AR, BDS, NW, SG, SO TG, UR) et le Tessin viennent par contre de signer une nouveau concordat sur la sécurité privée qui entrera en vigueur en janvier 2017 et doit poser quelques garde-fous.
La Conférence des directeurs des départements de justice et police explique que "le public est en droit de s'attendre à ce que ces employés, qui exercent des activités sensibles, soient à la hauteur des tâches qu'ils accomplissent et qu'ils fassent preuve d'un comportement adéquat", qui devrait être surveillé.