Dédramatiser le débat sur l'islam en Suisse et en Europe et améliorer le dialogue entre les musulmans et le reste de la société: c'était pourtant la raison d'être du Groupe de recherche sur l'Islam en Suisse (GRIS), associé à l'Observatoire des Religions en Suisse (ORS) de l’Université de Lausanne et cofondé il y a une douzaine d'années par Stéphane Lathion.
Mais aujourd'hui, ce docteur en études européennes, porte-parole informel de ce groupe de chercheurs dans les médias, baisse les bras: la situation a évolué au point qu'il constate l'échec de sa mission et renonce en conséquence à s'exprimer au nom du GRIS.
Nécessité de changer de stratégie
Interviewé vendredi soir dans l'émission Forum de la RTS, il estime que parler d'islam et de musulmans ne suffit plus. "Avant d'être des musulmans, ce sont des individus, des citoyens, avec les mêmes droits et les mêmes devoirs que les autres, et je suis convaincu que si vraiment on veut réduire les tensions qui existent dans la société suisse aujourd'hui, il serait peut-être plus stratégique de mettre l'accent sur la citoyenneté (…) Il faut peut-être changer de stratégie."
Le choc des attentats de Paris
Et les attentats de Paris (Charlie Hebdo) en janvier dernier ainsi que les événements en Syrie marquent pour le chercheur un tournant définitif. "Un des éléments-clé de notre discours pendant dix ou quinze ans, c'était de dire que les problèmes liés à l'islam là-bas n'ont rien à voir avec la réalité des musulmans ici en Suisse. Je ne peux plus dire ça aujourd'hui."
Stéphane Lathion ne veut pas "devenir une espèce d'alibi" comme si la situation n'avait pas changé. "Mon retrait, c'est un constat d'échec face à la radicalisation", reconnaît-il.
Le spécialiste relativise tout de même la situation en Suisse, où il relève surtout un problème de perception. "Si on regarde les revendications des deux côtés - musulmans et non musulmans - il n'y a pas grand-chose. Il y a les cimetières, le voile, mais la plupart des problèmes concrets sont réglés."
Se préoccuper des jeunes en priorité
Et d'insister sur la nécessité de se préoccuper des jeunes: "Le défi aujourd'hui est de savoir ce qu'on propose aux jeunes musulmans qui sont là. Il y a le discours de certains prédicateurs mais il y a aussi internet qu'on n'arrive pas à maîtriser, on n'arrive pas à appréhender l'influence qu'il peut avoir sur ces jeunes-là".
L'élément identitaire religieux peut les aider, souligne encore Stéphane Lathion. "Et si on ne leur propose rien d'autre, ça peut être risqué. Ce qu'on voit avec la Syrie et le nombre d'Européens qui décident de partir dans ce type de dérive, c'est une des réponses. Ma question, c'est: qu'est-ce qu'on peut faire pour éviter qu'ils s'en aillent? Et je ne suis pas sûr que l'élément identitaire 'musulman' soit l'élément-clé sur lequel il faut jouer aujourd'hui."
oang
Stéphane Lathion, un expert écouté
Enseignant, le docteur Stéphane Lathion est cofondateur et coordinateur du Groupe de Recherche sur l’Islam en Suisse (GRIS) associé à l'Observatoire des Religions en Suisse (ORS) de l’Université de Lausanne.
Il participe également à différents réseaux de recherches européens et est régulièrement consulté par les autorités fédérales ou cantonales sur des thématiques d’intégration, d’éducation, ou de formation des cadres associatifs musulmans notamment.
Quelques publications:
- "Musulmans, une menace pour la République ?" (avec O.Bobineau), éditions Desclée de Brouwer, Paris, 2012.
- "Les minarets de la discorde", éditions Infolio/Religioscope, Fribourg, 2009.