Investis depuis plusieurs mois dans des recherches sur les liens d'intérêt au Conseil national, Stefano Puddu et Martin Péclat ont tenté d'évaluer l'impact de l'appartenance à un lobby sur la façon dont votent les parlementaires.
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Afin de mesurer cet "effet lobby", les chercheurs de l'Institut de recherches économiques de l'Université de Neuchâtel ont conçu des indicateurs pour quantifier l'homogénéité des votes au sein des groupes (mesurée par un "indice de cohésion", ou "agreement index") et la fidélité des individus à leur groupe ("proximity measure").
Ils ont aussi tenu compte du poids de chaque lobby dans les différents groupes politiques -certains types d'intérêts étant surreprésentés dans certains partis. L’ensemble des votes de la dernière législature a été passé au crible.
"Distinguer l'opinion réelle de l'impact du lobby"
"Une difficulté centrale est de distinguer l’opinion réelle du politicien de l’impact qu'a le lobby sur ses choix. (...) L'idée sous-jacente est que l'opinion réelle d'un politicien peut être, dans l’ensemble, approximée par son orientation politique, c’est à dire son parti. La déviation éventuelle par rapport à l'opinion réelle peut donc être interprétée comme une influence du lobby", explique Martin Péclat.
Toutes précautions prises, les deux scientifiques ont remarqué que lors de certains types de votes, des parlementaires sont plus prompts à voter comme leur lobby que comme leur parti. "Ces résultats montrent que les membres des groupes d'intérêt ont une certaine ligne commune. Ceci laisse la place à un potentiel impact des lobbies sur les décisions des politiciens", note Stefano Puddu.
Les conseillers nationaux liés à certains groupes d'intérêt seraient particulièrement soumis à cette influence. Plus précisément, une fois l'appartenance politique et d'autres caractéristiques des parlementaires prises en compte, "le fait d'avoir des liens avec les secteurs de l'énergie, de l'assurance ou de l'immobilier réduit la probabilité qu'un parlementaire vote comme son parti", relèvent les chercheurs.
D'autres facteurs peuvent influer sur l'homogénéité des votes
Dans le cadre de leurs recherches, Stefano Puddu et Martin Péclat ont aussi observé que la cohésion de vote au sein des partis augmentait à l'approche de la fin de la législature. "Cela s’explique certainement par la volonté de chaque membre de se faire réélire. Pour cela, les élus doivent se montrer loyaux envers la ligne de leurs partis (...). Une autre explication se situe dans la volonté des partis de montrer une ligne claire aux électeurs", avancent les chercheurs.
Ils ont par ailleurs remarqué qu'être un homme, être âgé et provenir d'un canton latin réduisait la loyauté d’un politicien envers son parti. Selon eux, "une femme a plus tendance qu'un homme à s'abstenir de voter lorsque son opinion diffère de celle de son parti." Les plus jeunes tenteraient, eux, de gagner la confiance de leur parti.
"Enfin, les intérêts que partagent les cantons latins sur certaines questions locales et régionales l'emportent parfois sur l’opinion majoritaire (et donc souvent alémanique) du parti", analysent-ils.
Pauline Turuban
Des partis plus sensibles que d'autres à certains intérêts
Stefano Puddu et Martin Péclat ont aussi analysé le nombre de fois où partis et lobbies ont voté de la même manière lors de la dernière législature. Par exemple, l’UDC a voté comme le groupe d’intérêt "Industrie" dans 90% des votes liés à l’économie.
On pourrait expliquer ces résultats par la forte représentation de l’UDC dans le groupe "Industrie", pourtant le pourcentage chute à 25%sur les 8 votes liés à l’Europe. Ce qui signifie que les membres UDC du groupe "Industrie" se distancient nettement du reste du lobby sur les questions européennes.
Ce résultat vaut pour tous les groupes d’intérêt et les votes sur l’Europe. Les chercheurs ne se risquent toutefois pas à tirer d'autres conclusions, en raison du nombre restreint de votes relatifs aux affaires européennes.