Au lendemain de la publication d'un rapport international montrant que la Suisse est le 14e exportateur mondial d'armes, le Secrétariat d'Etat à l'économie (SECO) annonçait pour sa part des exportations de matériel de guerre en baisse entre 2014 et 2015.
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Les exportations effectives de matériel de guerre ont porté sur 446,6 millions de francs en 2015, contre 563,5 millions en 2014.
Des chiffres qui n'incluent pas les permis établis pour l'exportation de "biens militaires spécifiques" (lire définition en encadré), qui comprennent notamment des armes d'entraînement ou des avions Pilatus. Ces chiffres sont pourtant passés d'une valeur de 887,6 millions en 2014 à 1,165 milliard en 2015.
Le SECO travaille à une solution pour publier une statistique des exportations effectives de biens spécifiques.
Le SECO précise toutefois que ces chiffres ne sont pas directement comparables à ceux des exportations de matériel de guerre puisqu'il ne s'agit pas ici d'exportations effectives contrôlées par les douanes mais seulement de l'octroi de permis.
"Le SECO, en coopération avec les douanes, travaille en ce moment sur une solution pour évaluer aussi statistiquement les exportations effectives des biens militaires spécifiques. Des chiffres pourraient être publiés l'an prochain", explique Jürgen Boehler-Royett Marcano, chargé notamment des contrôles à l'exportation des biens militaires spécifiques.
Il précise que la valeur totale des permis d'exportation individuels s'élève bien à 1,165 milliard pour 2015 mais dont 1,014 milliard provient d'opérations autorisées antérieurement. La valeur des nouvelles opérations strictes se monte, elle, à 151 millions de francs pour 2015, selon le SECO.
Ces chiffres se révèlent donc très complexes à interpréter. Le Groupe pour une Suisse sans armée (GSsA) y voit une "opacité volontaire" qu'il dénonce.
"Une totale hypocrisie" pour le GSsA
Secrétaire générale du GSsA pour la Suisse romande, Amanda Gavilanes est choquée par la manière dont le SECO présente la situation. "C'est laisser croire à la population que la Suisse a une attitude irréprochable en matière d'exportation de matériel militaire mais on passe sous silence toute cette catégorie de "biens spéciaux". La population n'a souvent même pas conscience qu'ils existent."
On livre des drones de surveillance à l'Arabie saoudite qui peuvent tout à fait être utilisés indirectement à des fins militaires.
"Ces biens spécifiques ne sont pas des armes mais peuvent être détournés et servir à entraîner par exemple des pilotes militaires saoudiens. C'est une totale hypocrisie. Quand bien même ces biens ne servent pas directement à tuer des gens, ils contribuent à l'effort de guerre général d'un pays", estime encore Amanda Gavilanes.
Pour obliger à plus de transparence dans ce domaine, le GSsA n'exclut pas de lancer des initiatives locales ou même fédérales dès 2017.
Le commerce avec l'Arabie saoudite en question
Dans le contexte de guerre au Yémen et de tensions au Moyen-Orient, l'Arabie saoudite soulève des questions.
Si Ryad n'arrive qu'au 20e rang des pays vers lesquels la Suisse exporte du matériel de guerre (qui ne sont que des pièces détachées de remplacement puisque le commerce est officiellement interdit depuis 2009), le pays arrive par contre au premier rang des pays demandeurs de permis d'exportation de biens militaires spécifiques.
biens militaires par pays 2014-2015
Alors qu'une réunion sur le traité sur le commerce des armes a lieu cette semaine à Genève, Amnesty International a justement lancé lundi un appel à un embargo sur les armes contre tous les protagonistes du conflit au Yémen (lire ci-dessous).
Les biens militaires spécifiques, en particulier ceux exportés vers l'Arabie saoudite, comprennent des avions militaires d'entraînement.
En 2015, les permis pour l'exportation d'avions Pilatus ont été prolongés pour le Qatar (8 avions) et pour l'Arabie saoudite (29 avions), précise le SECO. Pour les années 2014-2015, la valeur de ces permis se monte à 119,8 millions pour le Qatar et 549 millions pour l'Arabie saoudite.
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matériel de guerre par pays 2014-2015
Sophie Badoux
Les biens militaires spécifiques
La définition des biens militaires spécifiques est livrée dans la "loi fédérale sur le contrôle des biens utilisables à des fins civiles et militaires et des biens militaires spécifiques" comme suit:
"On entend par biens spécifiques militaires, les biens qui ont été conçus ou modifiés à des fins militaires, mais qui ne sont pas des armes, des munitions, des explosifs militaires ni d'autres moyens de combat ou pour la conduite du combat, ainsi que les avions militaires d'entraînement avec point d'emport".
Une annexe à l'ordonnance sur les contrôles des biens utilisables à des fins civiles et militaires donne, elle, la liste de ces biens militaires spécifiques. Une liste qui comprend notamment des drones d'explorations, des systèmes de visées nocturnes, des véhicules terrestres, des grenades fumigènes, des systèmes de protections contre les missiles ou encore des avions militaires d'entraînement tant qu'ils sont non-armés.
Réunion sur le traité sur le commerce des armes à Genève
Amnesty International a appelé lundi à un embargo sur les armes contre tous les protagonistes du conflit au Yémen. L'ONG inclut la coalition arabe conduite par l'Arabie saoudite qui combat des rebelles chiites Houthis, accusés de liens avec l'Iran.
Cet appel a été lancé par l'organisation de défense des droits de l'homme à l'occasion d'une réunion à Genève sur le traité sur le commerce des armes.
Amnesty indique avoir documenté une série de graves violations du droit humanitaire et des droits de l'homme, incluant des crimes de guerre, depuis le début de l'escalade de la guerre en mars 2015.
Dans un communiqué, l'organisation "exhorte tous les Etats à veiller à ce qu'aucune des parties en conflit au Yémen n'obtienne - directement ou indirectement - des armes, des munitions, des équipements ou des technologies militaires (...) jusqu'à ce que cessent de telles violations".