"On traverse les Alpes de plus en plus vite, on circule en Europe par avion et par tunnel. Et simultanément, on a besoin de lenteur et de prendre son temps et la montagne est un terrain privilégié pour cette prise de temps", a estimé Bernard Debarbieux, professeur de géographie culturelle et d'aménagement du territoire à l'Université de Genève.
Le Club alpin suisse a gagné 16'000 membres en cinq ans, pour atteindre le chiffre de 147'000, a annoncé lundi la Neue Luzerner Zeitung. Pour Bernard Debarbieux, cette tendance reflète bien la "schizophrénie actuelle".
L'acceptation par le peuple en février dernier d'un 2e tube routier au Gothard va aussi dans ce sens, selon lui. "Je n'ai pas vraiment bien compris pourquoi on a voulu doubler le tunnel routier au moment même où on s'apprête à inaugurer le tunnel ferroviaire par lequel peuvent transiter nombre de camions", a confié le géographe. "Cette contradiction montre qu'on n'est pas tout à fait clair sur ce qu'on attend de la traversée des Alpes", a-t-il résumé.
Deux cultures de la montagne différentes
"La culture de l'ingénieur en montagne est très importante dans l'identité helvétique", a encore souligné l'expert. Les Suisses aiment les paysages, mais aussi "les viaduc, les tunnels, les chemins de fer en montagne".
Il y a deux cultures de la montagne en Suisse: celle de la performance, de la construction, héroïque. Et celle de la préservation
Cette "schizophrénie" n'est pas limitée à la Suisse, selon Bernard Debarbieux. Le géographe a rappelé qu'un chantier similaire au Gothard était en construction entre Munich et Vérone, situé sous le Brenner, que l'Autriche souhaite fermer pour freiner la migration. "D'un côté, on est extrêmement astucieux pour fluidifier la circulation, pour faire traverser 40 millions de tonnes de marchandises, et de l'autre il y a cette tentation de fermeture", a-t-il commenté.
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L'affaire Pro Natura-Glacier 3000, "un affrontement à la française"
Concernant la récente opposition qu'affiche Pro Natura à une nouvelle piste aux Diablerets, Bernard Debardieux a relevé que "ça fait 40 ans que les protecteurs de l'environnement et les défenseurs du développement intensif des stations de ski s'écharpent" et qu'en même temps "des terrains d'entente sont trouvés". Grâce à notre esprit du compromis, "on est parvenu à zoner la montagne comme on a zoné les villes".
Dans cette affaire du Glacier 3000, "on est un peu face à un affrontement 'à la française' ou 'à l'italienne'", a-t-il néanmoins estimé.