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"Le RBI ne va pas encourager la paresse, mais l'esprit d'initiative"

Sergio Rossi est convaincu que le RBI constituerait une solution notamment à la débâcle annoncée des premiers et deuxième piliers.
Sergio Rossi est convaincu que le RBI constituerait une solution notamment à la débâcle annoncée des premiers et deuxième piliers.
Professeur d'économie à l’Université de Fribourg, Sergio Rossi a été consulté à titre d’expert sur le financement du revenu de base inconditionnel (RBI), dont il est un défenseur convaincu.

RTSinfo: L’idée du revenu de base inconditionnel (RBI) a émergé dans les années 1980, et n'est donc pas en soi une idée nouvelle. Pourquoi cette solution est-elle évoquée en ce moment en Suisse?

Sergio Rossi: Il y a plusieurs raisons à cela. D’une part, le chômage va augmenter avec ce qu’on appelle la quatrième révolution industrielle. Cette automatisation des activités va certes créer des places de travail, mais pour des personnes très qualifiées, dans des domaines pointus. Au final, le nombre de places de travail créées sera inférieur au nombre de places biffées.

D’autre part, si je regarde les assurances sociales, je constate que le premier pilier – l’AVS – est en train de trébucher: il y a de plus en plus de personnes à la retraite et de moins en moins de salariés pour financer l’AVS.

Le deuxième pilier a lui aussi un rendement de plus en plus faible suite aux problèmes majeurs que l’on observe sur les marchés financiers. On voit donc que le premier et le deuxième pilier ensemble ne sont pas viables à terme pour assurer le niveau de vie auquel nous sommes habitués. Il faut alors changer complètement de perspective.

Le RBI remplacerait également l’aide sociale…

L’aide sociale telle qu’elle est donnée aujourd’hui est problématique car elle stigmatise les individus. Sans parler d’un effet de seuil contreproductif: si je gagne autant en travaillant qu’en touchant les assurances sociales, je ne suis pas encouragé à raccrocher avec le monde du travail. Par ailleurs, les assistants sociaux sont censés suivre de près et encadrer les personnes touchant l’aide sociale, alors qu’ils consacrent actuellement environ 80% de leur temps à des tâches administratives.

En quoi le RBI constituerait-il un changement de paradigme radical?

Ce qui est nouveau, c’est qu’on va défaire le couple revenu-travail. Mais ce n’est pas si radical que ça, parce qu’une partie du revenu national est déjà découplée du travail, dans la mesure où elle va rémunérer le capital. La société contemporaine est très productive grâce aux inventions et au progrès technique du passé. Si j’ai devant moi un ordinateur, et que je travaille beaucoup plus rapidement et mieux que sans PC, il faudrait aussi rémunérer l’inventeur du PC, pour son travail passé. On peut estimer qu’un tiers de notre production est redevable à ces acquis du passé. L’idée philosophique du RBI est de rendre à la société contemporaine ce que la société passée nous a permis d’accumuler comme connaissances, comme patrimoine culturel.

Qu’en est-il de la motivation à travailler, à entrer sur le marché du travail, à continuer à se former? Le RBI ne serait-il pas un oreiller de paresse?

Le RBI ne va pas encourager la paresse. Il y aura toujours une division sociale entre celles et ceux qui touchent le RBI et ne font rien d’autre, et les autres qui vont travailler, qui contribuent à l’intérêt général. Avec un RBI de 2500 francs par mois et par adulte, on ne peut pas vraiment avoir une vie heureuse, on peut à peine payer son loyer et son assurance maladie. Toucher le RBI ne va pas dissuader les gens de travailler: au contraire, cela va les encourager à réaliser des projets pour lesquels ils sont motivés, formés et compétents.

Aujourd’hui, un jeune qui a envie de monter une «start-up» aura du mal à trouver le financement d’une banque, et sera à juste titre réticent à engager son patrimoine personnel. Avec le RBI, ce jeune jouirait du minimum vital pour engager un micro-projet et en cas de faillite il continuera à toucher son RBI.

Selon le Conseil fédéral, le montant du RBI est impossible à financer. Vous avez été consulté sur la faisabilité du financement. Quelles sont vos conclusions?

La seule méthode intelligente, à mon sens, et qu’il faut approfondir, est celle proposée par mon homonyme l’économiste Martino Rossi. Il a proposé de réaffecter une grande partie des assurances sociales (AVS, AI, prestations complémentaires) au financement du RBI. Selon ses calculs, quelque 60 milliards pourraient ainsi alimenter la caisse du RBI.

Mais la force de ce modèle, c’est qu’il propose de ponctionner non seulement les salaires, mais aussi les bénéfices des entreprises. Toujours selon ses calculs, il faudrait un taux d’imposition d’un tiers, environ 33%. Les salaires seraient amputés d’un tiers pour financer le RBI, tout comme les profits des entreprises. On obtiendrait ainsi quelque 130 milliards prélevés à la source, quelque 60 milliards prélevés sur les assurances sociales qui existent aujourd’hui, et on arriverait grosso modo à couvrir les 208 milliards qui seraient nécessaires à un RBI mensuel de 2500 francs par adulte et 625 francs par mineur.

Les opposants au RBI prédisent un affaiblissement de l’économie helvétique.

L’argument n’est pas rationnel, mais émotionnel, voire de nature populiste, pour plusieurs raisons. Les gens ne peuvent pas vivre correctement avec un RBI, ils seront au contraire encouragés à s’insérer au mieux dans le système économique pour faire partie de la société. Cela va dynamiser le tissu économique, notamment avec la possibilité de se lancer dans des projets d’entrepreneuriat ou de micro-entrepreneuriat, qui vont contribuer à la croissance économique. Et cela va aussi stimuler la consommation et donc l'activité économique, et en dernier lieu les recettes fiscales.

Certains, notamment à gauche, craignent une remise en cause de l'ensemble du système de sécurité sociale suisse. Le RBI signifie-t-il la fin de l’Etat providence tel qu’on le connaît?

Il est clair que le RBI ne va pas remplacer à 100% le filet social ou la complémentarité des assurances sociales. Mais le système sera simplifié: les problèmes de financement de l’AVS vont disparaître, ce sera plus facile à gérer pour les entreprises, et l’aide sociale pourra être plus efficace car les assistants sociaux vont pouvoir s’occuper des cas problématiques au lieu de faire de la bureaucratie.

La Suisse dotée d’un RBI ne deviendrait-elle pas beaucoup trop attractive?

Certainement pas: en Suisse, l’aide sociale est déjà beaucoup plus généreuse que celle des pays voisins. Mais il y a quand même des lois, des critères à remplir pour obtenir cette aide sociale. Ce sera pareil avec le RBI: nous sommes en Suisse, dans un Etat de droit, il y aura des règles qu’il faudra respecter.

L'initiative ne remporte que 24% de oui au dernier sondage SSR... Le RBI est-il en avance sur son temps?

«Le progrès n’est que l’accomplissement des utopies», disait Oscar Wilde. Pour l’AVS à l’époque – qui a mis tout de même 30 ans à s’imposer – on ne discutait pas du montant, mais du principe, comme pour le RBI aujourd’hui. Il y a encore un long chemin à parcourir. Même en cas de oui, il n’y aura pas de RBI avant 2050 vraisemblablement. La prochaine étape sera de voir apparaître des RBI sous forme de projets pilotes, décentralisés. Le système suisse part souvent du bas vers le haut, «bottom up» comme disent les Anglais. La Suisse étant un pays décentralisé, ce sera peut-être par des voies décentralisées qu’on arrivera au RBI, en convainquant la classe politique que c’est une solution.

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Propos recueillis par Katharina Kubicek

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