Peter von Matt est un éminent essayiste alémanique et Professeur émérite de littérature à l’Université de Zurich. Dans son essai "La Poste du Gothard ou les états d’âme d’une nation" (Zoé), paru en 2012, il a notamment analysé les tensions qui entourent l’identité helvétique.
Interrogé par la RTS, il estime que le mythe du Gothard illustre les paradoxes de cette identité, cette tension entre origine et progrès, entre l’image de la Suisse, pays de montagne, et la Suisse urbaine qui la constitue.
Le Gothard n'est pas suisse
Peter von Matt rappelle tout d'abord que le premier tunnel du XIXe siècle n'est pas un ouvrage suisse: "Il avait été certes imaginé et voulu par le Zurichois Alfred Escher mais il a été construit, et surtout payé, par la Suisse, l’Allemagne et l’Italie, ensemble. C’était une collaboration économique et une stratégie militaire."
La Suisse a ensuite, vingt ans plus tard, remboursé l’Italie et l’Allemagne. "Elle a ainsi pu oublier plus facilement qu’elle n’avait pas construit seule le Gothard", souligne le professeur.
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Au centre des mythes fondateurs
"Le Gothard et son environnement, sa région, constituent le décor des mythes fondateurs de la Confédération. Le serment du Grütli, Guillaume Tell, l’union des cantons primitifs se jouent au pied de ce massif", rappelle Peter von Matt.
De même, le point de vue sur les montagnes s'est modifié au XIXe siècle. "Jusque-là menaçantes, (...) ces montagnes ont changé de visage pour devenir une nature pure. Elles sont devenues symboles de liberté, au moment même où la Confédération était constituée, où le tourisme prenait son envol."
Une idée de repli
Le Gothard véhicule par ailleurs les deux notions d'ouverture et de fermeture. "Il a toujours été un col avec une dimension européenne, le lien de l’Italie avec le nord du continent. C’est grâce à lui que les savoirs, la formation en provenance de l’Italie ont été transmis."
Mais d'un autre côté, le Gothard se retrouve lié au mythe des Alpes défenseuses de la Suisse. "Dieu aurait donné aux Confédérés les montagnes pour les protéger. Ils ne sont bien sûr pas à l’abri mais l’image s’est imposée, très vite soutenue par l’attitude de l’armée suisse durant la Deuxième Guerre mondiale, lorsqu'elle s’est retirée dans les Alpes", rappelle le professeur.
Anne Fournier/vkiss
"Le Gothard n'est pas un mythe pour les Romands"
"Je doute que le Gothard soit un mythe pour les Romands voire même pour les Grisons qui ont leurs propres cols. Mais pour l’identité, pour l’image de soi de la Suisse, il offre un condensé de la montagne, ses légendes, ses routes, son col, qui s'est imposé peu à peu."
"C’est un tout que l’on peut lire avec en arrière-fond soit les progrès de la technique, une certaine ouverture, soit la défense de la liberté, de l’indépendance. C’est comme ça qu’un mythe se nourrit."