Finie la période de grâce pour le procureur général de la Confédération Michael Lauber. Réélu brillamment l'année dernière et applaudi pour avoir osé faire le ménage au sein du Ministère public, il se retrouve confronté à de sévères critiques sur la méthode employée.
Trois arrêts rendus par le Tribunal administratif fédéral (TAF) en février et mars de cette année dévoilent l'ampleur des dégâts. A chaque fois, il est relevé que le Ministère public de la Confédération - et donc son chef, Michael Lauber - a failli à ses devoirs d'employeur. Les juges fédéraux ne vont pas jusqu'à considérer les licenciements comme abusifs, mais relèvent une série de vices de procédure.
Principaux griefs: l'absence d'avertissements et un droit d'être entendu tout relatif.
Indemnités maximum
Ces erreurs de procédure ont convaincu le TAF d'accorder des indemnités inhabituellement élevées aux trois recourants. Cela représente 16 mois de salaire pour le recourant qui pouvait se prévaloir du plus long rapport de service, tandis que les deux autres plaignants ont touché respectivement 14 mois et 12 mois de salaire. Sachant qu'un procureur fédéral gagne environ 220'000 francs par année, on tourne déjà autour de 700'000 francs d'indemnités.
A cela s'ajoutent six mois de délais de carence pendant lesquels les cinq procureurs licenciés n'ont pas travaillé mais touché leur salaire ainsi que l'engagement de remplaçants temporaires pour liquider les affaires urgentes. Il y en a eu pour près de 840'000 francs.
Enfin, diverses autres indemnités et mesures d'accompagnement pour les cinq procureurs et cinq employés administratifs du MPC ont été chiffrées à 450'000 francs en 2015. L'addition finale représente donc près de deux millions de francs.
Réorganisation onéreuse et mal gérée
La réorganisation dont s'est prévalu Michael Lauber pour sa réélection l'année passée devant les Chambres fédérales se révèle donc fort coûteuse et mal gérée, selon le triple désaveu du Tribunal fédéral administratif. Michael Lauber n'a pas souhaité réagir.
Ludovic Rocchi/jzim
"Il est temps de faire le ménage au MPC", explique un ex-procureur fédéral
"Le Tribunal administratif fédéral dit que le licenciement était injustifié dans ces conditions-là. Il aurait fallu au moins un avertissement et me présenter aussi les reproches en temps utile. Tout comme mes autres collègues d’ailleurs, puisqu'il n’y a rien à leur reprocher, et le tribunal leur a aussi donné raison", explique l'ex-procureur Félix Reinmann dans le Journal du Matin.
"Je pense que l’on n'avait pas tout à fait les mêmes vues sur la manière de faire notre métier de procureur par rapport à la poursuite pénale, c’est à dire que nous avions envie de poursuivre certains dossiers que le procureur général ne voulait pas forcément voir aboutir."
Depuis le 1er juillet 2015, Félix Reinmann ne travaille plus au MPC. Mais en tenant compte du délai de carence de six mois ainsi que des 16 mois d’indemnités obtenus, l’ancien procureur fédéral est actuellement toujours payé par le contribuable: "Oui, malheureusement. J'ai d’ailleurs un peu honte que ça se termine comme ça et que le contribuable en fasse les frais. J’aurais préféré que l'on puisse s’arranger avec le procureur général. Je l’ai tenté à plusieurs reprises par des négociations qui n’ont rien donné", précise-t-il.
Dans cet entretien, l'ancien procureur évoque également les divergences rencontrées avec son supérieur Michael Lauber: "Je pense qu'à un moment donné, comme mes collègues non reconduits, je dérangeais dans la structure actuelle du ministère public (…) En 2012, j’ai amené un dossier devant le Tribunal pénal fédéral qui concernait l’organisation criminelle des Géorgiens en Suisse. Une organisation qui s’était bien implantée… Et le jugement du tribunal - qui comportait 319 pages - expliquait dans le détail tous les comportements qui pouvaient tomber sous l’article 260 ter. Nous avions tous les moyens pour poursuivre ce genre d’infractions. Le procureur général de son côté a décidé, dès l’année 2013-2014, de ne plus tenter d’aventures dans le domaine du crime organisé. Malheureusement, il ne s’agissait pas d’aventures, mais de dossiers solides. On m’a demandé de ne pas aller jusqu'au bout."
Enfin, Félix Reinmann précise les raisons qui le motivent à sortir du bois: "Il est important de parler de tout ce qui ne fonctionne pas au sein du Ministère public de la Confédération. Parce que ce sont des deniers publics qui sont mal utilisés. Parce que le Ministère public, et c’est l’avis d’un certain nombre de spécialistes aussi, ne fait pas le travail qu’il devrait faire. Et qu’il est temps enfin de faire le ménage aussi là-bas."
Le surveillant en chef du MPC défend le bien-fondé de la réforme
Interrogé lui aussi dans le Journal du matin, le président de l'Autorité de surveillance du Ministère public confirme l'explosion des coûts mais les justifie: "Vous évoquez à juste titre un coût de deux millions de francs pour cette réorganisation. Mais la question se pose aussi de savoir qu'elles auraient pu être les alternatives?", s'interroge le juge fédéral Niklaus Oberholzer.
"Le procureur général a choisi d’agir et ce choix a eu un coût", poursuit-il, "mais je suis persuadé que l’inaction aurait mené à des dysfonctionnements. Ils n’auraient pas pu être quantifiés de manière aussi précise en francs et en centimes. Mais ils auraient de toute évidence aussi eu un coût."