On l'a affublé du statut d'enfer fiscal depuis longtemps et ce n'est pas pour rien. Il ne fait pas bon payer ses impôts dans le canton de Neuchâtel, particulièrement lorsqu'on gagne peu.
Ainsi, un couple marié avec deux enfants, dont le revenu annuel brut de 75'000 francs est divisé à parts égales entre les époux, est ponctionné à hauteur de 4486 francs par an. C'est 61,4% de plus que la médiane suisse, située à 2787 francs.
A l'inverse, dans le canton de Genève, un ménage similaire ne débourse absolument rien, comme le montrent les données du simulateur fiscal de la Confédération analysées par la RTS lors de la réalisation de son calculateur $weethome.
Pour découvrir dans quelle commune vous gagneriez à habiter, testez notre calculateur en cliquant sur l'image ci-dessous:
Chercher l'argent là où il se trouve
L'exemple de Neuchâtel et de Genève ne fait qu'illustrer un antagonisme profond: en matière de politique fiscale, deux "Suisses" se font face, comme le montre le graphique ci-dessous.
D'un côté, au-dessus de la médiane, se dressent les cantons qui ponctionnent largement les ménages de la classe moyenne et inférieure. De l'autre, sous cette même médiane, figurent ceux qui se montrent plus généreux à leur égard. Ces différences ne touchent pas uniquement les couples mariés, mais aussi les célibataires.
De manière générale, les cantons de Suisse occidentale, exception faite de Genève, sont les plus défavorables alors que l'autre côté de la Sarine se révèle plus généreux.
Comment expliquer que certains cantons soient à ce point défavorables pour ce type de ménages? Selon Bernard Dafflon, professeur émérite de finances publiques à l'Université de Fribourg, l'explication réside principalement dans l'état de leurs finances, au rouge depuis de nombreuses années. "Pour ne pas s'endetter encore plus, ces cantons n'ont d'autres choix que d'aller chercher l'argent là où il se trouve. Et les contribuables aux revenus modestes ou moyens constituent le bassin fiscal le plus important", explique l'économiste.
La stratégie osée de Genève
Pour autant, Milad Zarin-Nejadan, professeur d'économie politique à l'Université de Neuchâtel, réfute l'idée d'une philosophie de la fiscalité bâtie de manière à favoriser les plus riches: "Ce n'est en tout cas pas un acte délibéré. La fiscalité dépend avant tout du contexte économique et de la géographie. Dans les régions périphériques, comme Neuchâtel, le Jura ou même Berne, la charge fiscale a toujours fait mal aux revenus modestes et moyens".
Le cas genevois n'en demeure pas moins particulier. Pour un couple marié avec deux enfants, l'assujettissement à l'impôt n'intervient qu'à partir d'un peu plus de 70'000 francs. Revers de la médaille, en ménageant à ce point ses contribuables modestes, le canton est endetté jusqu'au cou. Une dette trois fois plus élevée que celle du canton de Neuchâtel en pourcentage du produit intérieur brut, qui demeure inférieure à celle de la Confédération. Reste que cette manière de procéder n'est en aucun cas tenable, selon Bernard Dafflon: "Genève ne respecte aucune règle d'équilibre budgétaire et laisse la porte ouverte à l'endettement. Ce sont les générations futures qui en paieront le prix".
Des cantons à la générosité inégale
Dans la pratique, ce n'est pas seulement les barèmes d'impôts qui expliquent l'importance des écarts entre certains cantons. L'octroi plus ou moins généreux de déductions à l'égard de leurs citoyens occupe une part prépondérante. Des déductions qui font varier de manière considérable la charge fiscale.
Conseiller d'Etat neuchâtelois en charge des Finances, Laurent Kurth explique d'ailleurs que si son canton "a choisi de garder un barème d'imposition élevé sur les revenus moyens et inférieurs, il a choisi de faire un effort substantiel sur les déductions accordées aux familles". Et de prendre l'exemple des rabais sur les factures de crèches. "Avec ces aides, un revenu de 80'000 francs par année est plutôt imposé sur 60'000 francs", précise le socialiste.
Les célibataires, eux, devront encore attendre avant de profiter d'un soutien bienvenu de la part de l'Etat. Prévue entre 2018 et 2020, la nouvelle réforme de l'imposition des personnes physiques ne se fera pas tout de suite. Face à la dégradation brutale des finances cantonales, le gouvernement neuchâtelois l'a en effet gelée jusqu'à nouvel avis.
Les plus riches choyés
Les différences de charges fiscales concernent bien moins les revenus les plus élevés. Passé un certain montant, toutes les courbes s'aplanissent, pour tendre vers la médiane. Le barème de l'impôt n'est plus progressif mais proportionnel, c'est-à-dire qu'il n'évolue guère, que le contribuable gagne 200'000 ou 500'000 francs par an.
La raison réside dans ce que les experts appellent le "mimétisme fiscal". Afin d'éviter que leurs citoyens les plus riches, très mobiles, ne déménagent pour payer moins, les cantons se copient les uns les autres. Grâce à cette manière de faire, les plus fortunés ont la garantie de ne pas être surtaxés.
Immoral, le mécanisme fiscal helvétique? "Le qualifier d'immoral entraînerait un jugement de valeur, estime Bernard Dafflon. Mais il est basé sur des différences d'appréciations entre les catégories de contribuables. On peut donc sans aucune réserve affirmer qu'il est amoral."
>> Lire aussi : 24'000 francs par an, ce qu'il en coûte de vivre à Chancy et non à Boncourt
Kevin Gertsch
Des chiffres issus du simulateur fiscal de la Confédération
Toutes les données utilisées proviennent du simulateur de la Confédération. Seules les déductions dites "automatiques", qu'on peut retrouver dans tous les cantons, sont considérées. Les particularismes cantonaux en matière de rabais fiscaux ne sont par contre pas pris en compte. Dans la charge fiscale figurent la moyenne des impôts communaux, l'impôt cantonal, de même que l'impôt fédéral direct.