Les lieux de culte musulmans sont au centre des préoccupations sur les risques de radicalisation après les dérives constatées à la mosquée An'Nour de Winterthour, où un imam est accusé d'avoir appelé au meurtre des musulmans non pratiquants. Six jeunes partis en Syrie en 2015 l’avaient d'ailleurs fréquenté. Mais à Genève, la Grande Mosquée a aussi fait parler d'elle pour les fiches S des renseignements français sur deux imams et suite au départ de deux jeunes pour rejoindre les rangs de l'organisation Etat islamique.
>> Lire : L'imam de la mosquée An'Nour de Winterthour en détention préventive, Les domiciles de deux imams de la mosquée de Genève perquisitionnés et une pétition
Ahmed Beyari, directeur de la Grande Mosquée, fait face à
signée par quelque 200 fidèles qui réclament son départ. Les pétitionnaires regrettent que les responsables de la mosquée du Petit-Saconnex aient "fermé les yeux sur la radicalisation de certains fidèles et aient mal géré l'institution".
Je condamne fermement toute violence commise au nom de l'islam
Ancien diplomate saoudien, le directeur a accepté pour la première fois de réagir à la RTS. Il assure qu'il n'était pas au courant, qu'il "collabore activement" avec les autorités genevoises et qu'il "condamne fermement toute violence commise au nom de l'islam". Ahmed Beyari souligne qu'il y a "presque 300'000 personnes qui passent dans l’année dans notre mosquée".
Le directeur assure avoir pris des mesures, comme l'installation de caméras de vidéosurveillance, ou la fermeture des portes 30 minutes avant la prière et 30 minutes après pour éviter les regroupements. Et "nous sommes en train de chercher une compagnie de sécurité" (...) "pour avoir une meilleure surveillance de la mosquée", ajoute-t-il.
A propos des deux imams surveillés par l'Etat français, le directeur a indiqué sur RTS La Première que ce sont les "meilleurs imams" qu'il n'a jamais rencontrés. Quant au financement jugé opaque du lieu de culte, Ahmed Beyari assure que la mosquée, inaugurée en 1978 par le roi Khaled d'Arabie saoudite, est financièrement indépendante, grâce au capital de la fondation et aux revenus provenant d'immeubles acquis "il y a longtemps" à Genève.
272 lieux de culte musulmans
Les deux mosquées de Genève et Winterthour sont-elles des exceptions? Pour le savoir, encore faut-il connaître la liste de toutes les mosquées. Mais aucun recensement fédéral détaillé n'existe (voir aussi le deuxième encadré). Mallory Schneuwly Purdie, chercheuse au Centre Islam et société de l'Université de Fribourg, souligne qu'il "n’y a pas forcément de registre qui tient la liste de toutes les associations", car cela relève du droit privé. La chercheuse relève que ces communautés "ont des difficultés à louer des endroits, donc il y a une grande fluctuation de ces lieux".
Pour identifier les différentes mosquées et les salles de prières, il a donc fallu prendre les listes des associations cantonales ou communautaires et les vérifier une par une, canton par canton, pour établir notre propre liste. Verdict: la Suisse compte 272 lieux de prière islamiques.
Un résultat cohérent pour l'experte fribourgeoise, même si le nombre est en constante évolution. Résultat aussi confirmé par Jean-Paul Rouiller, ancien des services de renseignements qui, dans son livre "Le Djihad comme destin, la Suisse pour cible", rejoint l’estimation.
On ne dispose d’aucune base légale qui l'autorise à surveiller d'une façon régulière les mosquées ou les imams sans indice sur une menace potentielle pour la sécurité
La question de la surveillance
La surveillance de tous ces lieux, c'est l’enjeu pour repérer les discours radicaux. La Confédération considère qu'elle ne peut rien faire officiellement, comme l'explique Carolina Bohren, porte-parole des renseignements suisses. "Le SRC ne dispose d’aucune base légale qui l'autorise à surveiller d'une façon régulière les mosquées ou les imams et leurs activités en Suisse sans indice sur une menace potentielle pour la sécurité".
>> Lire aussi : "Aucune raison de surveiller préventivement les mosquées suisses"
Cela ne signifie pas qu'aucune surveillance n'existe, comme le confirme Jean-Paul Rouiller. "Régulièrement, des gens qui sont proches des services de renseignements font des pointages dans les mosquées. Ils vont écouter les prêches, sans aucun outil d'enregistrement". "La vigilance est de mise et les services sur ce plan font leur travail", estime l'expert.
L’entrée de la nouvelle loi sur le Renseignement en 2017 permettra d'effectuer des surveillances plus formelles. Au final, moins de 10 lieux de prières restent sous haute surveillance.
Cécile Tran-Tien, Tania Sazpinar, Dimitri Zufferey
La question du financement
En Suisse, la grande majorité des mosquées ne sont pas financées par les pays de la péninsule arabique, Arabie saoudite en tête, mais par les pays des Balkans et par la Turquie.
Les chiffres de l’Office fédéral de la statistique le confirment: la majorité des musulmans de Suisse viennent des pays de l’ex-Yougoslavie (42%) et de Turquie (14%). Un tiers possèdent la nationalité suisse (31,4%). L’islam de ces nations est un islam sunnite et modéré.
Mallory Schneuwly Purdie, chercheuse au Centre Islam et société de l'Université de Fribourg, voit dans les quelque 50 centres de prières soutenus directement par le ministère turc des affaires religieuses un gage de stabilité. "L’imam est salarié de l’Etat. Il arrive en Suisse formé aux questions théologiques".
Elle est rejointe par Jean-Paul Rouiller, ancien des services de renseignements, qui estimait que "les mosquées ne sont pas des vecteurs proactifs des réseaux djihadistes".
Berne réfléchit à une manière de recenser tous les imams de Suisse
Il n'existe aucun registre recensant au niveau fédéral les imams qui prêchent dans des lieux de culte en Suisse. La question des religions est en effet de compétence cantonale.
Mais à Berne, des réflexions sont en cours, s'inscrivant dans l'élaboration d'un plan d'action contre la radicalisation.